La double mémoire de David Hoog
Auteur : Roland Fuentès
Éditeur : A contrario
Année : 2004
4ème de couverture :
Marseille. La Ciotat. Deux villes plantées au bord de la Méditerranée, séparées par des collines et une côte déchiquetée, refuge des mouettes, des plongeurs et des fous.
Un Horla contemporain. L'esprit d'un défunt brisé par la vie et nourri de lectures xénophobes tente de se réincarner dans la peau d'un jeune homme, David Hoog. Une fille mystérieuse, Jeanne. Elle tisse la toile du Horla. David Hoog , n'a d'autre secours que Bobô, son ami, singulier compagnon de plongée qui défait continuellement le lent travail de Jeanne. Pris entre deux passés, entre deux rêves ou deux cauchemars, David Hoog accomplira un parcours dangereux dans le labyrinthe des souvenirs.
critiques :
« Roland Fuentès connaît l’art du raccourci (il a obtenu le Prix Prométhée pour des nouvelles), ainsi que le lyrisme sans prétention, qui a peu d’adeptes de nos jours. »
(François Cérésa, Le Figaro)
« Par ce bref roman poétique et maîtrisé, Fuentès confirme ses dons et occupe désormais une place originale et bien affirmée dans le domaine du fantastique littéraire. »
(J. J. Nuel, Europe)
« On se laisse emporter par ce roman sur le thème de la métamorphose, où ressortent les questions que l’écrivain
n’a de cesse de se poser. »
(Michel Ravet, Le Progrès)
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Extrait :
Le canot glisse lentement sur la roche. De sa proue fracassée quelques échardes se détachent, flottent un instant au-dessus de l’épave. Des éclats de peinture scintillent aux endroits où la lumière perce encore, fantômes en cavale imprimés sur le bleu sombre du gouffre liquide.
Le naufrage remonte à quelques minutes, pourtant David Hoog n’a décelé aucune agitation en surface. Et l’épave semble vierge de tout occupant. Sur le plancher, à l’opposé de l’avarie, repose une boîte en fer blanc dont le couvercle réfléchit le soleil à la manière d’un vague signal.
D’un coup de reins, le plongeur s’approche de l’embarcation. Comme un bras tendu en signe d’invite, une rame solidement fixée au bord lui offre un appui. Le canot ne mesurait pas plus de quatre mètres. Un modèle ancien, utilisé au chantier naval à l’époque des métaniers. Pas de moteur, deux planches tirées en travers en guise de banc, dont l’une a été brisée. Inventaire achevé faute d’indices supplémentaires.
Un courant glacé remonte depuis les profondeurs, passe à travers le plancher disjoint. A cet endroit la pression s’avère peu dangereuse mais David Hoog n’est pas équipé pour y demeurer longtemps. Il saisit la boîte, la bloque contre son torse et regagne la surface en effectuant quelques légères ondulations.
***
Sous la falaise en forme d’aigle à l’affût, quelques plates-formes rocheuses émergent des eaux. Inaccessible par la terre, celle que David Hoog a choisie demeure éloignée des itinéraires maritimes. Les navires évitent les tombants abrupts qui défendent l’intérieur sur plusieurs kilomètres.
Ce paysage tout en brisures n’a plus de secrets pour le plongeur. La mer au pied du Bec de l’Aigle n’attire pas les foules, qui préfèrent les plages gagnées sur le littoral, de l’autre côté de la ville. Seuls quelques gamins du pays connaissent les accès aux calanques. Encore la majorité d’entre eux ne prise-t-elle la baignade que pour sauter, baskets aux pieds, hurlements de samouraï aux lèvres, depuis les à-pics vertigineux logés au petit bonheur de la roche rousse. Le mistral des jours précédents a glacé la mer, et dissuadé les gamins. Reste une côte déchiquetée, qui par un jour comme celui-ci redevient le domaine des mouettes. Et des fous.
Au loin, devant l’Ile Verte, dernier jalon de côte avant l’étendue vertigineuse de la Méditerranée, quelques plaisanciers cabotent au milieu des flotteurs en liège indiquant l’emplacement de filets. Des silhouettes s’agitent sur le pont des voiliers. Elles ont fort à faire pour jauger le vent qui, bien qu’encore dolent, ne tardera pas à forcir.
La houle prendra bientôt. Il faudrait quitter l’endroit avant que la mer ne se lève. La boîte n’est pas lourde. Un bruissement (un soupir ?) parvient depuis l’intérieur lorsque les mains du jeune homme l’agitent. Son esprit oscille entre deux actions antagonistes. La curiosité impose l’ouverture immédiate de la boîte ; la prudence commande de remettre à plus tard. Le nageur, devant ce dilemme, est pris d’un étourdissement. Ses mains se dirigent sans sa volonté vers l’objet. Quelque chose remonte du fond de lui. Une nausée lui brouille les sens. La mer, le rocher, les navires au loin, l’île, les mouettes. Tournent. Sifflent à ses tympans. Il y a une voix, quelque part dans l’air, ou dans l’eau. Une volonté extérieure (extérieure ?) qui le contraint à demeurer encore un peu sur le rocher.
Ouvrir.
Dans l’instant.
Les fermoirs ont joué sans peine. Aux deux tiers vide, la boîte renferme une enveloppe couverte de ruban adhésif transparent, comme si l’on avait voulu protéger son contenu. L’enveloppe n’a pas été timbrée ; elle ne porte que le nom et le prénom du destinataire. Un peu d’eau a filtré par les interstices des fermoirs. Des coulures imprègnent la couche plastifiée, agrandissant certaines lettres à la manière d’une loupe.
David Hoog saisit délicatement l’enveloppe. Aussitôt une sensation de chaleur lui parvient. Comme si quelque chose de vivant palpitait à l’intérieur. Du plat de la main il essuie les gouttes, qui laissent de minuscules traînées sous les deux mots formés d’une écriture maladroite :
"David Hoog"
***
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