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27/12/2005

L'homme orchestre

Il transportait dans sa tête un fouillis de choses brinquebalantes. Véritable fatras d'idées, de phrases, de formules hétéroclites glanées au fil de ses lectures, au hasard des conversations, elles étaient là, jetées pêle-mêle sans aucun discernement de leur contenu souvent contradictoire. Lorsqu'il pérorait, saturant l'atmosphère avec des embryons de pensées, bribes de réflexions assenées comme des évidences indiscutables, tout le monde faisait silence. Il pouvait réagir de manière imprévisible, selon ses impulsions, et la conversation quittait brusquement son cours logique, changeait d'orientation sans crier gare.

Habitués à ces sautes d'humeur fréquentes, ils avaient fini par déceler une certaine constance dans ses réactions : une fin de repas bien arrosé s'avérait propice à un crescendo politique aussi enfiévré qu'interminable, une pause café le ramenait à des considérations plus légères, qu'il ponctuait de son grand rire sarcastique. Les autres ne le contredisaient jamais. Discuter n'était pas leur fort ; lui discutait pour eux. Les explosions vocales ne les captivaient pas davantage ; lui criait pour eux. Mais de tout cela, ils ne s'en formalisaient plus depuis longtemps. Ses prêches et ses axiomes rythmaient leur quotidien ; c'était dans l'ordre des choses...

Jusqu'au jour où la vieille dérailla, lui tenant brusquement tête dans une de ces discussions où le sujet n'est que prétexte à montrer sa rage et ses dents. Elle lui tint tellement tête que le repas se prolongea bien au-delà des créneaux coutumiers. Ce fut une tablée bruyante, nerveuse, déversant autour de la maison par les fenêtres entrouvertes, à travers les cloisons et par la cheminée des hordes vengeresses de décibels ; cela mit toute la famille en émoi. Le voisinage aussi en fut alarmé. Dans sa démence, la vieille brisa cette fois-ci le silence de toute une vie, s'octroyant enfin une part équitable dans la conversation.

Il n'y survécut pas.

 

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extrait du recueil "Où elles vivent à présent" (éd. Orage-Lagune-Express 1999)

Nouvelle publiée auparavant dans la revue Courant d'ombre n°5

12:15 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (7)

Commentaires

Les arguments n'ont jamais convaincu personne ! tous mes voeux, amitiés !
Raymond

Écrit par : Ray | 31/12/2005

Bonne année à toi, Ray !
Ça avance, ton roman ?

Écrit par : Roland Fuentès | 01/01/2006

Difficilement, je sais même pas si je vais y arriver, mais bon je vais prendre mon temps, c'est un peu comme prendre un bain de Noël, se jeter dans une eau glacée !!!

Écrit par : Ray | 02/01/2006

Et toi Roland, en pleine création ?

Écrit par : Ray | 03/01/2006

Toujours, quoique pas entamé de grand chantier cette année : je pouponne...

Écrit par : Roland Fuentès | 04/01/2006

Bonjour à vous Roland,
Eric Faye est sur France-Inter en ce moment même pour parler de "Ses trains"! Ce qui est bien avec la radio, c'est qu'on peut écouter en pouponnant (j'en sais quelque chose), ou bien écouter une rediffusion grâce aux archives...
Très cordialement.

Écrit par : OO. | 09/01/2006

Bonjour OO.

Aargh ! Loupé l'émission (c'est tombé à un moment ou je pouponnais pas...). Mais merci quand même, je vais aller voir sur les archives.
Et merci de la visite.

Écrit par : Roland Fuentès | 09/01/2006

Les commentaires sont fermés.