22/03/2006
Magasin Général
T1 (Marie)
Loisel / Tripp
Casterman
BD
80 p. / 14, 95 euros
C’est un dessinateur hybride, mi Loisel-mi Tripp, qui nous propose le premier tome d’une BD pour le moins inhabituelle. En effet, Régis Loisel et Jean-Louis Tripp ont travaillé ensemble scenario et dessin en s’attachant à brouiller les pistes, si bien qu’il est impossible de déterminer exactement la part de chacun. Non que leur patte personnelle disparaisse totalement dans ce travail : on reconnaît bien certains cadrages typiques de Loisel, pourtant quelque chose dans le trait, dans la texture du dessin, est différent, de même qu’on croit reconnaître certains visages, certaines expressions caractéristiques des personnages de Loisel, mais… une observation plus attentive les fait paraître autres, presque étrangers. C’est que la patte de Tripp recouvre celle de Loisel. Ou l’inverse. D’autant que les dialogues ont été peaufinés par un troisième larron (Jimmy Beaulieu), de manière à nous déstabiliser encore plus. Cette œuvre est à part dans la bibliographie de ses auteurs, et elle impose aussi sa singularité dans le paysage bédéistique contemporain.
Magasin Général, c’est la chronique d’une communauté villageoise isolée, dans les années 20, au fin fond du Québec. Une foule de personnages prend vie devant nous, ni plus humains, ni plus inhumains que nature. Il y a le curé, qui aide le charpentier athée jusqu’au bout des ongles à construire le bateau de ses rêves ; il y a les trappeurs, qui rentrent au pays après plusieurs mois de chasse et qui ont la main leste lorsqu’on les taquine ; il y a l’institutrice et son draveur de mari... et il y a Marie, personnage principal de ce premier tome. Un personnage très réussi, dans sa façon d’hésiter, d’être déboussolée et d’aider quand même les autres, malgré son veuvage tout récent, par habitude, parce qu’elle ne sait pas faire autrement.
L’importance d’un tel commerce pour une communauté aussi reculée apparaît ici très clairement. Le magasin est le moteur de cette petite vie, plus important que la mairie, et que l’église. Il est l’endroit où tout le monde passe, celui dont tout le monde a besoin ; d’ailleurs les services rendus par Marie s’étendent bien au-delà de son comptoir. Le Magasin Général, c’est surtout l’endroit où tout le monde vient discuter, celui auquel toutes les conversations ramènent, au point qu’il semblerait presque générer à lui seul cette langue exotique et savoureuse parlée au Québec, ce français qui ouvre de nouvelles voies au français, et montre toutes les ressources que peut offrir une langue lorsqu’elle part vivre sa vie sur un autre continent. Magasin Général, c’est encore une déambulation à travers des paysages splendides, croqués avec une grande sensibilité, une déambulation qui nous éloigne et nous ramène vers le magasin, comme le temps, comme la vie qui s’écoule et s’interrompt pour certains membres de la communauté, mais continue pour d’autres.
C’est enfin, surtout, une œuvre de tout premier plan qui vient de naître ce mois-ci, et qui, comme toutes les œuvres singulières et fortes, devra trouver son public bien au-delà de la sphère des amateurs de BD.
A découvrir absolument.
22:05 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Je me sers ptit loup ?
Écrit par : Calou | 23/03/2006
Mais avec plaisir, Caloup !
Écrit par : Roland Fuentès | 23/03/2006
C'est fait :-), merci!
J'ai une proposition très intéressante à te faire Roland. As-tu l'intention de monter à l'automne pour le salon de la revue ? Si oui, banco. Donne-moi en pv ton tel car il faut que je te dise...
Écrit par : Calou | 24/03/2006
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