13/09/2006
RETOURS À ALGER
Jacques Ferrandez
Casterman
Carnet de voyages
80 p. / 19, 50 euros
Voici un nouveau Ferrandez, dans le genre qui lui réussit le mieux : le carnet de voyages. Et ce carnet-ci est à classer parmi ses tout meilleurs. Cet aquarelliste hors pair qui réussit à faire sentir l’épaisseur de l’air lorsque la lumière du sud le traverse, et laisse sa patte inimittable sur les plus anodins détails d'un paysage, ce narrateur qui est parvenu à faire revivre en une fresque colorée l’Algérie des différentes communautés dans le premier cycle de ses Carnets d’Orient, revient en force avec un ouvrage élaboré à partir de plusieurs voyages, plusieurs « retours » qu’il a effectués à Alger.
Le terme de « retours » est à prendre ici au sens large, puisque cet enfant de pieds noirs qui a grandi en France, et qui avait surtout utilisé la documentation pour travailler au premier cycle des Carnets d’Orient, n’est revenu qu’ensuite sur le sol de ses ancêtres. Il y est revenu à plusieurs reprises, et il a connu des Algériens d’aujourd’hui, des hommes et des femmes du présent, d’un présent qui change et qui pourtant rappelle des époques anciennes, pour le poids de passé que chaque événement nouveau traîne avec lui… On rencontre des personnages touchants, comme ce fameux Momo de la Casbah, déjà rencontré dans les Carnets d’Orient. On croise l'écrivain Rachid Mimouni, dont Ferrandez illustre ici un texte dédié à la Casbah. On croise des silhouettes, furtives, des visages fixés sur le papier avec leur part d’ombre et de lumière.
Le type de narration propre au carnet de voyages convient parfaitement à cet auteur, peut-être encore plus que la BD : ce mélange de naïveté et d’observation précise que l’on peut distiller dans l’écriture d’un carnet, cette gamme d’émotions qui lui sont propres et qu’il serait difficile à mettre en scène autrement, constituent peut-être ce que Ferrandez manie le mieux, après son aquarelle. Dans les deux mini bandes dessinées insérées à l’ouvrage – elles-mêmes adoptant le type de narration du journal intime, on sent la tension des dix années de terrorisme, et toute la détresse de l’auteur face au drame, face au destin brisé de millions de personnes. Et on comprend que le carnet, pour Ferrandez, est un moyen de rendre hommage à ce qu’il y a de mieux dans l’homme, un moyen de fixer sur le papier la beauté de ces caractères contrastés, espérant jusqu’au bout que les choses s’amélioreront, et éclaboussant la page d’ombres et de couleurs.
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