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27/02/2005

Ayé ! Fini Châteaureynaud !

« Singe savant tabassé par deux clowns »
nouvelles
par Georges-Olivier Châteaureynaud
éd. Grasset, 2005
368 p. , 18, 50 euros

Pas déçu du voyage. Onze nouvelles, assez longues. Onze occasions de vérifier que G.-O. Châteaureynaud fait bel et bien partie des tout meilleurs pour moi. Parce qu’il sait raconter des histoires.
Qu’est-ce que j’entends par « savoir raconter des histoires » ? Eh bien j’entends ceci : il y a, tout d’abord, une langue. Une façon particulière de tourner les phrases, de faire sonner les mots, qui m’étonne, qui me pousse à m’exclamer : « Bien vu, bravo ! J’aurais pas pensé à formuler l’idée de cette façon ! » D’ailleurs essayez, à partir du début d’une phrase de Châteaureynaud, de deviner comment elle se poursuit. Vous n’y arriverez pas, ou alors c’est que vous aurez triché… Ca, c’était pour expliquer ce que j’appelle « une langue », « un style », « une écriture ».
NB : Quand je dis d’un texte qu’il est « bien écrit » (la plupart du temps je dis simplement « écrit »), ça ne signifie pas que l’auteur sait bien employer les subjonctifs imparfaits et qu’il écrit sans fautes d’orthographe. Heureusement, la plupart des écrivains maîtrisent un tant soit peu leur langue maternelle, qui est quand même leur matériau de travail ; et au pire, pour les détails, il existe dans les maisons d’édition des correcteurs professionnels, qui savent encore mieux écrire le français que les écrivains et s’occupent de cette partie. Bien écrire, pour moi et pour d’autres, ça veut dire que l’auteur a fait sienne cette phrase de Reverdy : « Si les mots sont à tout le monde, vous êtes tenus d’en faire ce que personne n’en fait. »
Ah, un dernier truc pour l’écriture, après je passe à autre chose : Châteaureynaud n’hésite pas à puiser – à bon escient, je veux dire d’une manière qui n’est pas gratuite – dans toute la gamme des mots français. Registre familier, registre soutenu, mots rares et anciens, mots nouveaux, mots inventés. A une époque où de nombreux lecteurs, et même certains critiques littéraires (certains quoi ?) se plaignent d’avoir à ouvrir un dictionnaire si on a le malheur d’utiliser plus de 500 mots différents (à ceux-là je conseillerais plutôt d’arrêter de lire) je trouve ça réjouissant.

Non content de me surprendre avec ses mots, Châteaureynaud parvient aussi à me surprendre avec ses histoires. De même qu’il est impossible de deviner la fin, ni même la suite de ses phrases, il est impossible de prévoir les péripéties de ce qu’il nous raconte. D’accélération en coup de théâtre, cet auteur-là nous plonge sans cesse dans une dimension inattendue. Au moment où on se dit : « Là, mon petit bonhomme, je vois très bien où tu veux en venir ! », eh bien lui sait trouver la pirouette qui nous laissera pantois, le raccourci qui nous prendra au dépourvu. Châteaureynaud déjoue les pièges du cliché narratif, envoie paître le poncif qui rattacherait ses histoires à une tradition, à une école prédéfinie. La Nouvelle Fiction, sorte de « club » auquel il appartient, a été baptisée ainsi par dérision, à une époque où tout le monde prétendait faire du « nouveau » pour s’attirer l’attention des medias : « nouveau roman », « nouvelle poésie », « nouvelle Citroën », « nouvel Ariel ultra ». Pour Châteaureynaud et les neuf autres membres de la Nouvelle Fiction, ce qu’il faut inventer, ce sont des histoires, donc des textes, donc des phrases et des images, des combinaisons de phrases et des combinaisons d’images. La langue est un réservoir gigantesque d’images, de concepts, de sonorités, et elle permet une infinité de combinaisons possibles ; autrement dit les Cassandre médiatiques qui prédisent la fin de la fiction et de la littérature de création peuvent continuer à parler dans le vent. Alors oui, inventer des rythmes, des personnages et des ambiances, des narrateurs, des dialogues, des décors… pas forcément des procédés narratifs. Un nouveau procédé narratif, c’est bien joli à entendre ; encore faut-il qu’il soit réellement neuf – ce qui n’est pas souvent le cas – , et surtout un véritable écrivain pour le servir. Lancer une idée vaguement neuve dans la cour des idées littéraires est une intention louable, mais créer le texte qui la justifierait n’est pas à la portée de tout le monde. A la Nouvelle Fiction, on reste humble par rapport à tout ça. On ne rajoute pas du boucan au raffut des plateaux télé. On travaille. On récupère du vieux pour faire du neuf, on malmène les mythes en leur rendant hommage, on triture l’héritage littéraire et artistique universel en incorporant des ingrédients plus contemporains, des façons de voir et de dire les choses plus actuelles, on effectue de nouvelles incursions dans l’inconscient, dans l’imaginaire collectif. Si tous les membres de la Nouvelle Fiction n'ont pas le talent de Châteaureynaud, ils ont au moins le mérite d’essayer, sans la moindre excuse, d’inventer de nouvelles histoires. Ce genre de petites attentions, pour le lecteur que je suis c’est énorme. Ca m’évite de sombrer dans la claustrophobie. Rencontrer quelqu’un qui, comme Châteaureynaud, a de l’imagination, quelqu’un qui sait encore me surprendre en racontant des histoires, eh bien ça me donne une pêche, vous pouvez pas savoir !
Alors - venons-y quand même au bout du compte ! - de quoi ces histoires sont-elles faites ? Figurez-vous qu’on y trouve un peu de tout. Un peu de tout mais en quantités variables, cela va de soi. Pour ce qui est des personnages principaux, nul besoin d’être grand clerc pour constater que les héros de Châteaureynaud sont des anti-héros. Jeunes garçons inexpérimentés ou hommes murs guettés par le flétrissement, individus peu gâtés par la nature et la fortune, mais encore capables de rêver. Rêver… De quoi ? Pas de gloire, ni de fortune phénoménale, encore moins de bâtir des empires, mais simplement, timidement, avec l’air de s’en excuser, d’un peu de bonheur. D’un peu d’amour.
Pour ce qui est de leur entourage, il est composé d’une foule de personnages hauts en couleur, de caractères bien trempés, brossés vigoureusement d’une plume souvent ironique et bien inspirée. Un lecteur superficiel aurait tort de les trouver caricaturaux, ces personnages de nouvelles, car les quelques mots, les quelques phrases que Châteaureynaud leur consacre valent mieux que des descriptions psychologiques à rallonge. N’est pas nouvelliste qui veut, et c’est sans doute l’un des talents de celui-ci que de parvenir sans gâcher du papier à camper un caractère sous nos yeux, avec ses forces et ses faiblesses, son clinquant et son pathétique.
Le décor est lui aussi composite : fait d’ingrédients rétros et d’éléments très contemporains. A noter ces noms inventés de toute pièce et qui reviennent constamment d’une manière ou d’une autre : « Ecorcheville », « Eparvay », des lieux que l’on rencontre tout au long de l’œuvre de Châteaureynaud. Nous retrouvons, à plusieurs reprises et dans des rôles différents, un certain Gorbius, tantôt docteur, tantôt directeur de cirque ; ce même Gorbius qui jouait déjà un rôle dans « Le congrès de fantomologie » (roman, Grasset, 1985). Présent également, sur une plaque de rue ou sous forme de statue, Mathieu Chain, héros du roman éponyme (Grasset, 1978). Toutes choses et personnages qui font partie de cet univers mouvant et singulier, palpable mais insaisissable, que Châteaureynaud, livre après livre, déplie sous nos yeux.
A ces personnages déshérités, Châteaureynaud offre durant quelques paragraphes, quelques pages pour les plus chanceux, un séjour au paradis. Il existe toujours un passage, dissimulé au creux des lignes, qu’un lecteur peu attentif survolera sans le voir. Une voie s’ouvre vers un monde rêvé, idéal, où l’amour et la grâce sont accordés à ces désespérés. Ainsi, le jeune garçon d’Eparvay-sur-Mer (« Les Ormeaux ») profitera d’une pêche à marée basse pour accéder à cet autre côté de la réalité, qu’il pressentait, ou qu’il appelait de tous ses vœux. Ainsi le chauffeur de taxi de la nouvelle « La rue Douce » se retrouvera-t-il, alors qu’il connaît sa ville mieux que tout autre, dans une rue inconnue, très longue et très animée, qu’aucun plan ne signale. Ainsi, dans « La seule mortelle », cette jeune habitante d’un village pouilleux des montagnes aura-t-elle l’occasion, pour le meilleur et pour le pire, de goûter un temps l’existence au paradis.
On retrouvera dans ce recueil deux longues nouvelles parues individuellement, « Les ormeaux » (éd. Du Rocher 1996) et « Civils de plomb » (éd. Du Rocher 2002).

Bref : inventivité, goût pour l’étrange et l’incongru, humour et poésie. Tout ce qu’il faut pour me plaire. Après avoir lu un tel recueil, ma foi, je me sens un peu triste. Parce qu’il me faudra attendre longtemps jusqu’au prochain ; le précédent recueil de Châteaureynaud, « Le goût de l’ombre », chez Actes Sud, date quand même de 1997…
Heureusement il y a le recueil d’Eric Faye qui m’attend : « Un clown s’est échappé du cirque » (éd. José Corti). A ce que j’en sais, ces deux auteurs ne se connaissent pas. Mais ils ont en commun ce goût pour les histoires étranges et le travail sur la langue. Tout ce qui me plait, quoi (je me répète mais je suis sur un blog, alors je n’ai rien contre la spontanéité, même si ce n’est pas mon fort à l’écrit. Si je m’amusais à bosser mes phrases comme je le fais pour mes nouvelles, mes romans, ou même pour certaines chroniques, on n’en finirait plus d’attendre vu qu’il me faut à peu près dix heures, dans le meilleur des cas, pour remplir un seul petit feuillet de 1500 signes…).

17:20 Publié dans Livre | Lien permanent