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11/05/2006

LE MUR ET L'ARPENTEUR

(autre extrait)

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L’homme d’Altamaria se nommait Bec. Nul ne le savait, ou bien tout le monde l’avait oublié. Aussi vivait-on dans l’angoisse permanente de dévoiler cette ignorance. On attendait toujours qu’il parle en premier, ce qu’il faisait plutôt bien, au grand soulagement de tous.
On avait constaté son retour dans le quartier parce qu’il jurait à gorge déployée, sans raison particulière, toute la sainte journée. C’était autrement un individu sensible, presque encombré de civilités. S’il n’y avait eu ces jurons – impossible de ne pas les entendre – , ses voisins lui auraient sans doute décerné le premier prix d’amabilité.
A présent que l’oiseau était de retour, on se rendait compte à quel point ses trilles venimeuses et ses carnages verbaux avaient manqué. Un quartier pétri d’habitudes. Le citoyen y levait bon comme le pain, sincère et dévoué jusqu’à l’os, mais tout changement lui provoquait un rhume. Comme le mur, le Forum des Bâtisseurs et le lavoir, les grossièretés de Bec y avaient leur place.

Rogue, terrassier, était l’ami de Bec. Ils avaient terrassé ensemble pour une immense confrérie avant que Bec ne terrasse pour son propre compte.
Rogue, pas plus que les autres, ne connaissait le prénom de son ami. Il usait de subterfuges efficaces pour obtenir son attention, sachant tousser de manière expressive, s’exclamer tout haut ou encore claquer des doigts très fort. Une chose le tranquillisait un peu, c’était la formidable volubilité de Bec. Pendant que Bec parlait, Rogue n’avait pas à le faire.
Bec demeurait intarissable sur le sujet des rêves. Quotidiennement, il rendait visite à Rogue durant la pause de midi pour lui conter dans le détail son petit dernier. Rogue n’avait jamais besoin de le prier pour qu’il se livre. Du reste, Bec ne lui avait jamais demandé son avis.
Voici par exemple ce que Bec raconta à Rogue ce jour-là, assis sur un banc dans le petit square qui borde le Forum des Bâtisseurs, tandis que l’autre, appliqué à mâcher du pain au lard, n’était qu’oreille et silence :

“Ca s’est passé dans mon château, celui où j’habite toujours quand je rêve. Altamaria donnait une fête pour le nettoyage de sa dix-millième blouse.
Une bonne moitié de la ville avait défilé devant le portail sous prétexte qu’elle nous connaissait. Caton, le domestique dont je t’ai déjà parlé parce qu’il joue dans mes rêves un rôle important, souviens-toi, Caton avait pour mission de filtrer ce beau monde. Certains empaluchés qui n’avaient rien prévu d’autre pour la soirée se pressaient contre la grille. J’en voyais qui – ventrefoutre ! – avaient amené un cadeau, croyant que cette attention leur ouvrirait les portes.
Caton peinait pour trier le bon grain de l’ivraie. Il avait déjà giflé quelques matefesses de première qui tentaient d’affaler la grille. Alors qu’il pensait avoir dompté le flot, un petit bonhomme s’est accroché à son mollet, et l’a mordu. Rut impérial ! Je connaissais le bougre. C’était un branle-motte aviné que j’avais eu la mauvaise fortune d’inviter. Il m’a fallu intervenir avant que Caton ne l’ait complètement étranglé. Lointain cousin d’Altamaria par l’intermédiaire de sa mère – une enfourne-bourgeois qui avait péri lapidée par ses très nombreuses rivales – le bonhomme était de toutes nos réceptions. Caton ne le reconnaissait jamais, et l’autre, castrefigues comme sa mère, épluchait les soirées à bouder ouvertement.
J’allais accompagner le cousin à l’intérieur en espérant qu’il récupérerait de sa quasi strangulation, quand je me suis aperçu – ventregueuse ! – que ce que je tenais par la main n’était pas le cousin. C’était son reflet ! Le petit morvedèche avait filé à l’intérieur. En compagnie d’autres chenapans de son espèce, il vidait consciencieusement plats de petits fours et verres de champagne devant nos invités scandalisés.
Caton avait pourtant abattu de la besogne au portail, mais il n’avait repoussé que des reflets. Les véritables pique-assiettes l’avaient berné en escaladant les grilles du parc. Altamaria était occupée à l’étage, où elle enfilait ses douze jupons d’apparat. La pauvre ignorait encore le désastre. Je m’apprêtais à la rejoindre quand les aboiements d’un chien m’ont tiré du sommeil. Ce chien hurlait dans la rue. Je m’en souviens très bien, ce n’était plus un rêve. Il disait :
“Je te tuerai ! Je te tuerai ! Je te tuerai !”
Altamaria m’avait assigné au fond du lit : interdiction de reprendre le terrassement sans avoir pleinement digéré ma séquestration. Mais – vatenfoutre ! – comment refermer l’oeil après ce que je venais d’entendre ? J’avais envie d’en savoir davantage sur le cabot !”

18:55 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (5)

Commentaires

A quelle époque se situe ton texte? Tu utilises un vocabulaire peu conventionnel et attirant, mais - diantre - méfie-toi de ne point en abuser au risque d'ennuyer le lecteur...

Cette phrase me gêne car elle tourne mal en bouche, je trouve : "Bec demeurait intarissable sur le sujet des rêves".

Ceci dit, j'espère ne pas t'ennuyer avec mes remarques personnelles. Mais si tu nous donnes à lire des extraits, c'est pour récolter nos houspilleries :-)

Écrit par : Calou | 13/05/2006

Ça se passe dans un univers imaginaire, à une époque imaginaire. Evidemment, le lecteur est cordialement invité (comme, en principe, dans n'importe quel texte balayant les territoires de l'imaginaire) à y déceler certaines résonnances avec des époques et des univers connus.
Pour la phrase qui tourne mal en bouche, tu as tout à fait raison Calou, on doit pouvoir l'améliorer.

Écrit par : Roland Fuentès | 13/05/2006

Ce n'est pas facile de se faire une idée de l'ensemble sur des extraits si différents, d'où ma question...

Écrit par : Calou | 14/05/2006

Ok, je la ferme.

Écrit par : Calou | 15/05/2006

Hé ben !

Écrit par : Roland Fuentès | 15/05/2006

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