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09/02/2005

Les dessous de la vie littéraire II

« T’as pensé à Poivre ? »

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A tant consommer du conte de fée télévisuel, où il semblerait que quelques leçons de chant dans un château suffisent à transformer une casserole en star internationale, les gens confondent le chemin de la gloire avec une autoroute.
Voici ce que j’entends, très souvent :
« Tiens, l’autre soir à la télé, j’ai vu une émission qui t’intéresserait : « Vol de nuit » ça s’appelle. C’est Poivre d’Arvor qui invite des écrivains. Pourquoi tu lui envoies pas ton livre ? Je suis sûr qu’il en parlerait ! Tu sais, des fois il suffit de pas grand chose : quelqu’un parle de toi à la télé, et hop, tu fais un best seller. »
Ce genre de conseil, c’est bienveillant, c’est rempli de bonne volonté et ça fait drôlement plaisir parce que tout compte fait ça montre que quelqu’un, l’autre soir, en regardant la télé, a pensé à vous… oui, mais en même temps ça ne correspond pas à la réalité.
Pour obtenir ce « pas grand chose » qui peut attirer l'attention du public sur un livre, les éditeurs emploient des attachées de presse. C’est à dire des personnes très compétentes, rouées au fonctionnement des medias et de la communication. Pour chaque titre qu'on lui donne à défendre, une attachée de presse contacte entre 200 et 400 journalistes (parfois plus, si le livre est pressenti comme un futur succès.) Plusieurs centaines d’exemplaires de chaque titre sont ainsi envoyés en « Service de Presse », et ils viennent grossir les montagnes de livres reçues chaque semaine par les rédactions des différents medias. Ensuite, l’attachée de presse laisse passer un peu de temps, puis elle relance les journalistes. Il lui faut alors trouver le ton juste, celui qui permettra d’insister sans paraître crampon. Elle ouvre des pistes pour motiver des interviews, en indiquant par exemple les disponibilités de l’auteur sur les salons, ou sa présence à Paris lorsque l’auteur est provincial, ou étranger ; elle présente l’ouvrage à différents prix, fait parfois des cadeaux aux journalistes (véridique !), et autres démarches encore que j’ignore.
Pour qu’un livre devienne un best-seller, un passage à la télé ne suffit pas. Il en faut plusieurs et sur plusieurs chaînes. Il faut aussi obtenir l’attention des radios, de la presse écrite nationale et régionale, généraliste et spécialisée, gratuite et payante. Il faut toucher les medias moins traditionnels (internet, bulletins inter-bibliothèques, inter-CDI, etc…) et, condition sine qua non, les libraires (le bouche à oreille, si l’ouvrage séduit le public, interviendra plus tard, seulement après qu’une certaine quantité d’ouvrages aient été achetés). Or, pour que la campagne de promotion produise un effet sur les ventes, il faut que l’ouvrage ait bénéficié auparavant d’une diffusion exceptionnelle. Le diffuseur (maillon de la chaîne du livre méconnu du grand public, mais déterminant pour la vie d’un titre), lorsqu’il démarche les librairies pour déterminer les conditions de mise en place de chaque titre (de face, sur la tranche, en vitrine, sur les tables, en pile, en rayon…) et le nombre d’exemplaires que chacune acceptera de recevoir, a besoin de savoir à l’avance quels ouvrages vont bénéficier d’une bonne promotion pour convaincre les libraires de tenter le coup.
Autant dire que lorsqu’un ouvrage est à l’honneur dans une émission, c’est parce qu’un énorme travail a été accompli en amont. Un travail accompli pour le meilleur et pour le pire de la littérature par des professionnels de la communication et du commerce, et qui dépasse largement les compétences de l’auteur.

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