Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/04/2005

Un monde parfait

Philippe Lafitte
éd. Buchet/Chastel
roman
151 p. , 14 euros

Tout comme Eric Faye (cf. chronique de "Un clown s'est échappé du cirque"), Philippe Lafitte a choisi pour thème de son dernier livre l’univers capitaliste. Dans ce roman le monde est une boîte. Le dévouement à la cause de la boîte est la seule voie possible. Mais l’auteur a placé un grain de sable à l’intérieur de cet univers résonnant de slogans publicitaires pour le bonheur de l’existence en boîte : un individu y stagne et nourrit en marge de l’émulation générale des pensées de révolte. Dissimulé dans son ordinateur, un projet voit le jour, un projet immense, une utopie absolue qu’il a baptisée “Utsolue”. Dans son logement il règne sur des masques étranges, et sur une armée de petits papiers accrochés aux murs ; il possède même une fille dans un placard, authentique intouchable qu’il s’est promis d’ériger au rang de princesse. Ce maniaque, cette personnalité opprimée par le système inhumain d’un univers en boîte, a réalisé avec des morceaux de sucre la miniature d’une cité idéale. Parfois, sa révolte emprunte les chemins de l’ironie. Il tente de réveiller ses condisciples par des slogans provocateurs : “Vie sous vide n’est pas remplie”, “Donnons la rage aux chiens de Pavloff”, “Vous êtes plus qu’un stock d’énergie disponible”, etc... Mais ce trouble-fête un peu bouffon nourrit aussi des idées dangereuses : "Préparer soigneusement le terrain. Faire place nette et circonscrire les contrevenants. Exécuter avec précision cette tâche indispensable au développement du nouvel ordre à venir." C’est tout l’art de Philippe Lafitte que d’animer un personnage tour à tour opprimé et répugnant, malheureux et effrayant. On pense à Hitler, à Staline, à Ceaucescu, à tous ces révoltés devenus les plus grands assassins de l’histoire.
Dans ce roman tout est rythmé par des formules chocs : celles que le système actuel utilise pour motiver ses adeptes ("L’objectif vers lequel l’ensemble du groupe doit tendre est une meilleure “montée en puissance” de la société qui les emploie. “Objectif” est souligné en rouge. “Puissance” écrit en gras. “Montée” agrémenté d’une flèche de style médiéval."), celles auxquelles le rebelle a recours pour organiser son futur système ("Nous rangerons le monde puisqu’il est en désordre. Nous referons les plans pour le remettre d’aplomb. Nous classerons à nouveau par genre, type et famille l’ensemble du système.").
Les mots, finalement, sont les piliers de tout édifice politique. Si l’identité du narrateur peut poser des problèmes au lecteur en début de lecture (sa mégalomanie lui fait employer tour à tour le “je” et le “nous”), il faut saluer l’inventivité de l’auteur, qui, dans ce deuxième roman, parvient à planter dans un contexte très réaliste un imaginaire original.

22:10 Publié dans Livre | Lien permanent