06/09/2005
Le roi cassé
Dumontheuil
BD
Ed. Casterman
96 p. / 15, 75 euros
Après le remarqué « Qui a tué l’idiot ?» et les deux tomes rafraichissants de « La femme floue », Nicolas Dumontheuil nous livre un grand récit initiatique ayant pour cadre la première guerre mondiale, et dont l’hypothèse absurde met en perspective cette idolâtrie ambigüe que les peuples vouent à leurs héros nationaux.
Simon Virjusse sera le dernier mort de la guerre. Il mourra le 11 novembre 1918, quelques minutes avant l’armistice. C’est la Mort elle-même qui nous l’apprend. Une Mort plutôt désabusée, contrariée par l’usage que l’on fait d’elle en temps de guerre :
« La Mort est quelque chose de sacré, Monsieur Virjusse ! C’est un passage ! Une transmission, un lien entre toutes choses… Ces hécatombes, ces charniers… Mépriser la vie, c’est mépriser la mort. » Aussi s’en va-t-elle trouver les décideurs neuf mois avant la fin du conflit. Puisque le dernier mort et la date ultime de la guerre sont connus, plus besoin de se battre ; il suffit d’attendre le 11 novembre sans coup férir, en choyant celui qui par son sacrifice permettra l’arrêt des hostilités. Simon Virjusse devient dès lors le héros idolâtré de tout un peuple, et c’est le processus de fabrication des héros que l’auteur passe au crible avec un humour dévastateur. On s’en aperçoit très vite, cette idolâtrie n’est pas dépourvue d’égoïsme. Ces tirades grandiloquentes que chaque protagoniste pousse comme pour lui même, et qui produisent un comique grinçant, ne sont-elles pas une manière désespérée d'adapter la réalité à sa convenance ? Une foule de personnages hauts en couleurs s’épanouit dans ce grand roman graphique, à la mise en page plus serrée, aux textes plus denses que dans « La femme floue ». Cette densité modifie ici le rythme de lecture, ce qui n’est pas pour déplaire, au contraire, puisque les dialogues restent somptueux et les dessins, rapidement brossés en apparence (personnages aux contours instables, ville aux formes amollies), épinglent en réalité avec beaucoup de précision des attitudes humaines bien observées. Chez Dumontheuil, comme chez plusieurs jeunes dessinateurs de sa génération, l’expressivité du trait prime sur la finition académique, et c’est un bonheur.
Si l’on peut éprouver des difficultés à entrer dans l’histoire (peut-être l’exposition de la situation est elle un peu longue et embrouillée), ce qui se déroule en parallèle sur la page maintient l’attention du lecteur (dialogues aux expressions très crédibles témoignant d'une fine observation de l'oralité, mimiques des personnages habilement fixées). Cet album confirme s’il en était encore besoin le talent et la personnalité de Dumontheuil.
21:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (15)
Commentaires
Je crois que j'ai eu une over dose de 1° guerre mondiale avec le bouquin de mon père ces derniers temps...
Depuis "Une histoire rocambolesque de Vincent Van Gogh" de Larcenet j'ai du mal...ceci dit, cette bd me semble intéressante...
J'ai souvenir d'une bd superbe de Tardi sur la première guerre mondiale...(collection personnelle de mon père, of course)
Écrit par : Loui | 08/09/2005
La BD de Tardi, c'est pas "C'était la guerre des tranchées" ? Je l'ai moi aussi, incontournable efectivement, surtout pour ton père, et très impressionnante (là je parle au moins pour moi).
Je te rassure, cette BD de Dumontheuil n'a que peu de rapport avec le Front puisque la guerre s'arrête ; elle demeure en suspension jusqu'au jour de l'armistice. On ne voit les tranchées que pendant 3 ou 4 pages, après tout se déroule à Paris. Je dis pas que tout est rose mais enfin, ça change un peu comme angle d'approche.
Écrit par : Roland Fuentès | 08/09/2005
J'aime bien Tardy. Tu n'aurais pas une chronique à m'envoyer sur cet album Roland ?
Écrit par : Calou | 09/09/2005
Oups Tardi!
Écrit par : Calou | 09/09/2005
Hé non, Calou. Cet album date d'avant la création de Salmigondis (ça nous rajeunit pas tout ça...). A l'époque je savais même pas ce que c'était une chronique, alors un "Service de Presse"... c'était une autre planète !
Écrit par : Roland Fuentès | 09/09/2005
En tant qu'amateur en BD, auriez-vous quelques conseils de lectures autour de Moebius ? (Que je viens de découvrir...)
Écrit par : lemmanche | 13/09/2005
J'adore la série "Bluebery", pour laquelle Moebius signe "Giraud", ou "Gir". Quant à Moebius lui-même, je ne suis pas incollable. Pour ce que j'en connais, il fait des choses très inégales. Certaines séries sont, à mon sens, bâclées sur le plan du dessin. Je pense à celles qu'il a faites avec Jodorowski ("L'incal", et une autre qui raconte l'histoire d'un professeur de fac, je me rappelle plus le nom). Quand je dis bâclées, c'est par rapport à ce qu'il peut faire, parce qu'il y a quand même des très bonnes planches dans le tas. Là où je le préfère niveau dessin, c'est dans "Arzach", la BD qui l'a fait connaître en tant que "Moebius", et dans deux petits albums sur Jésus illustrant des textes de Jean-Luc Coudray, parus aux éditions Stardom. Les dessins sont fabuleux, ce sont des fresques un peu futuristes si je me souviens bien, très inspirées.
Bref, je ne suis as spécialiste de Moebius, il y a pas mal de choses que je n'ai pas encore lues de lui. Pour l'instant c'est un auteur que j'admire quand il est au mieux de sa forme. Je trouve que en tant que "Giraud", il est plus constant qu'en tant que "Moebius", mais peut-être que Moebius, dans ses moments de haute inspiration, est un peu plus original.
Écrit par : Roland Fuentès | 14/09/2005
Oups ! J'ai oublié une autre série de Moebius : "Le monde d'Edena". Le scenario ne m'a pas forcément transcendé, les dessins me paraissent inégaux selon les albums, mais il y a de très très belles planches, notamment lors d'un épisaode dans le désert.
Écrit par : Roland Fuentès | 14/09/2005
Bonne fête Roland ! Alors tout va bien ? En pleine écriture ?
Écrit par : Ray | 15/09/2005
Merci Ray. Quand je pense que mes parents avaient choisi ce prénom parce qu'il n'y avait pas (à leur connaissance) de St-Roland...
Oui, j'écris, ou alors je retravaille ce que j'ai écrit (c'est ce qui me prend le plus de temps).
Mais là je suis surtout occupé par un échange scolaire avec l'Allemagne. Ça empiète sur mon temps d'écriture, ce temps que j'achète avec la moitié de mon salaire, et c'est pas mieux payé. Quand on est à mi-temps on est de toute façon baisé : on touche une demie paye mais un certain nombre de tâches ne sont pas divisées par deux.
Euh, il y a plus grave, c'est sûr, et puis faire voir aux élèves autre chose que les 4 murs de la classe, c'est quand même la moindre des choses, le minimum qu'on leur doit.
Allez, je retourne au boulot ! Surfe bien !
Écrit par : Roland Fuentès | 15/09/2005
Maintenant il y en a un ! bon enfin il te reste à confirmer !
Écrit par : Ray | 15/09/2005
Bof, confirmer quoi ? Maintenant que je fais la une du calendrier le 15 septembre, je suis blasé.
Écrit par : Roland Fuentès | 15/09/2005
Ta sainteté, il y faut un brin d'humilité !
Écrit par : Ray | 15/09/2005
ça ça risque d'être dur!
Écrit par : pascal | 15/09/2005
Ce cher Pascal !
Alors, on progresse en lecture de charabia ?
En tout cas je vois que tu persévères. C'est bien mon gars, tu vas y arriver !
Écrit par : Roland Fuentès | 15/09/2005
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