02/03/2005
Les dessous de la vie littéraire (5)
« Vous écrivez ? Alors lisez-moi ! »
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Un truc marrant aussi, c’est les génies incompris autoproclamés. Ces gens qui commencent tout juste à écrire, n’ont jamais imaginé qu'un premier jet puisse être perfectible, mais tiennent la jambe au premier écrivain qui passe pour le persuader que ça y est, une œuvre inoubliable vient de sortir de leurs tripes (j’ai toujours jugé cette métaphore du plus mauvais goût, et surtout je n’ai jamais compris en quoi écrire dans la souffrance pouvait garantir une quelconque valeur littéraire...). Selon eux, il resterait à faire le tout dernier pas – une bagatelle ! – pour que la face de l’humanité soit éclaboussée de lumière : éditer leur chef d'oeuvre.
On en trouve un peu partout, de ces oiseaux-là : au boulot, dans les soirées chez les copains, dans les réunions familiales. On en trouve aussi, surtout, devant nos stands sur les salons et fêtes du livre. Faciles à reconnaître : ils sont timides au début, je dirais même furtifs, leurs yeux guettent le moment propice, leurs lèvres affichent un rictus de bienveillance (toujours cette satanée bienveillance !), et sitôt que l’instant paraît opportun ils vous sautent dessus avec leur liasse de manuscrits, ou bien, s’ils ne les ont pas sur eux, avec un stylo et un calepin pour noter votre adresse.
« Vous êtes écrivain ? C’est super parce que j’écris ! Et j’aimerais qu’on me lise attentivement, qu’on me dise ce qu’on pense vraiment. Et puis surtout comment trouver un éditeur. Je peux vous envoyer mes textes ? »
Durant le bref échange (le monologue, pour être exact), il n’a été nullement question de ce que, moi, j’écris. Ce qui serait un préalable vu que j'occupe quand même la place de l’auteur derrière la table, stylo prêt à entrer en action, et ce sont mes livres qui sont en pile dessus, n’attendant qu’une bonne âme pour avoir le privilège d’être dédicacés (et peut-être lus ?). Non, ces écrivaillons-là ne viennent pas sur les salons pour voir des écrivains, encore moins pour les lire. Ils viennent pour y trouver la maraine de Cendrillon. La bonne fée qui les métamorphosera en auteurs célèbres.
Ne pas mordre, mais rester ferme. Surtout ne pas donner son adresse ! Il m’est arrivé plusieurs fois de répondre, après avoir lu attentivement, et de donner des impressions aussi franches que détaillées, en précisant que mon avis n’avait rien d’universel. Cela m’a pris du temps parce qu’il faut se creuser la cervelle quand on veut exprimer le plus honnêtement son ressenti face à un texte. J’ai reçu en retour quelques proses outrées de génies incompris (alors que je m’efforce toujours de trouver du positif dans un texte, et de le dire, même lorsque globalement je n’accroche pas). Quant aux éventuels remerciements, je les attends encore…
Pour ce qui me concerne, je me souviens très bien que personne, en dehors de mon épouse, n’a jamais lu mes textes d’un œil critique à l’époque où je n’étais pas publié. Aujourd’hui encore, le cercle de ceux qui expriment un avis, même concis, se réduit à peu de monde. Je l’ai déjà dit, je ne suis pas entouré de littéraires. Et parmi les quelques amateurs de littérature que je fréquente, rares sont ceux qui me parlent de ce que j’écris. C’est par le biais de la presse que je peux avoir un semblant de retour. Des écrivains rencontrés au hasard de mes pérégrinations littéraires, et avec lesquels j’ai noué une relation intéressante, formulent également des commentaires, que je crois sincères. Mais tout bien compté, ça ne fait pas lourd. Quant à savoir qui serait susceptible d’éditer le manuscrit qu’un auteur inconnu m’a gracieusement flanqué dans la boîte aux lettres… je ne sais pas moi-même qui éditera mon prochain livre !
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28/02/2005
Les dessous de la vie littéraire (4)
« Alors, et ton livre ? »
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Mon entourage compte peu de véritables amateurs de littérature. En général ça ne me pose pas trop de problème, je me sens juste un peu gêné d’être pris pour une bête de cirque sitôt que j’en viens à prononcer le mot « livre ».
Il y a des fois, quand même, où je me sens vraiment déplacé. La conversation est animée, l’ambiance légère, on ne s’est pas vus depuis plusieurs mois. A la faveur d’un silence quelqu’un se tourne vers moi :
« Alors, et ton livre ? »
Il y a tout plein de bienveillance là-dessous, une réelle envie de bien faire. On veut montrer qu’on s’intéresse. Et moi, devant tant de sollicitude, qu’est-ce que je fais ? Je réfléchis. J’essaie mentalement plusieurs réponses. Si j’opte pour « Ca va bien, merci. », on me regardera avec une insistance presque blessée parce que je n’en aurai pas dit assez. Si je demande : « Lequel ? » avec pour seule intention de répondre précisément à la question posée, je passerai pour un prétentieux. D’autant qu’en face on n’a jamais lu une seule ligne de moi. « Ton livre », ça pourrait tout aussi bien vouloir dire « ton commerce », « ton club de foot » ou « ton correspondant australien». C’est quelque chose de singulier, de non identifié. Un endroit qu’on respecte parce qu’on m’aime bien mais où l’on ne mettra jamais les pieds.
Alors je bafouille un truc, je bredouille un machin et pour finir j’accouche d’une réponse indécryptable. Il n’en faut pas plus pour que la conversation glisse furtivement sur un autre sujet. La parenthèse se referme pour plusieurs mois. Jusqu’à ce moment où quelqu’un, au cours de revoyures chaleureuses, me reposera la question :
« Alors, et ton livre ? »
18:15 Publié dans Livre | Lien permanent
27/02/2005
Ayé ! Fini Châteaureynaud !
« Singe savant tabassé par deux clowns »
nouvelles
par Georges-Olivier Châteaureynaud
éd. Grasset, 2005
368 p. , 18, 50 euros
Pas déçu du voyage. Onze nouvelles, assez longues. Onze occasions de vérifier que G.-O. Châteaureynaud fait bel et bien partie des tout meilleurs pour moi. Parce qu’il sait raconter des histoires.
Qu’est-ce que j’entends par « savoir raconter des histoires » ? Eh bien j’entends ceci : il y a, tout d’abord, une langue. Une façon particulière de tourner les phrases, de faire sonner les mots, qui m’étonne, qui me pousse à m’exclamer : « Bien vu, bravo ! J’aurais pas pensé à formuler l’idée de cette façon ! » D’ailleurs essayez, à partir du début d’une phrase de Châteaureynaud, de deviner comment elle se poursuit. Vous n’y arriverez pas, ou alors c’est que vous aurez triché… Ca, c’était pour expliquer ce que j’appelle « une langue », « un style », « une écriture ».
NB : Quand je dis d’un texte qu’il est « bien écrit » (la plupart du temps je dis simplement « écrit »), ça ne signifie pas que l’auteur sait bien employer les subjonctifs imparfaits et qu’il écrit sans fautes d’orthographe. Heureusement, la plupart des écrivains maîtrisent un tant soit peu leur langue maternelle, qui est quand même leur matériau de travail ; et au pire, pour les détails, il existe dans les maisons d’édition des correcteurs professionnels, qui savent encore mieux écrire le français que les écrivains et s’occupent de cette partie. Bien écrire, pour moi et pour d’autres, ça veut dire que l’auteur a fait sienne cette phrase de Reverdy : « Si les mots sont à tout le monde, vous êtes tenus d’en faire ce que personne n’en fait. »
Ah, un dernier truc pour l’écriture, après je passe à autre chose : Châteaureynaud n’hésite pas à puiser – à bon escient, je veux dire d’une manière qui n’est pas gratuite – dans toute la gamme des mots français. Registre familier, registre soutenu, mots rares et anciens, mots nouveaux, mots inventés. A une époque où de nombreux lecteurs, et même certains critiques littéraires (certains quoi ?) se plaignent d’avoir à ouvrir un dictionnaire si on a le malheur d’utiliser plus de 500 mots différents (à ceux-là je conseillerais plutôt d’arrêter de lire) je trouve ça réjouissant.
Non content de me surprendre avec ses mots, Châteaureynaud parvient aussi à me surprendre avec ses histoires. De même qu’il est impossible de deviner la fin, ni même la suite de ses phrases, il est impossible de prévoir les péripéties de ce qu’il nous raconte. D’accélération en coup de théâtre, cet auteur-là nous plonge sans cesse dans une dimension inattendue. Au moment où on se dit : « Là, mon petit bonhomme, je vois très bien où tu veux en venir ! », eh bien lui sait trouver la pirouette qui nous laissera pantois, le raccourci qui nous prendra au dépourvu. Châteaureynaud déjoue les pièges du cliché narratif, envoie paître le poncif qui rattacherait ses histoires à une tradition, à une école prédéfinie. La Nouvelle Fiction, sorte de « club » auquel il appartient, a été baptisée ainsi par dérision, à une époque où tout le monde prétendait faire du « nouveau » pour s’attirer l’attention des medias : « nouveau roman », « nouvelle poésie », « nouvelle Citroën », « nouvel Ariel ultra ». Pour Châteaureynaud et les neuf autres membres de la Nouvelle Fiction, ce qu’il faut inventer, ce sont des histoires, donc des textes, donc des phrases et des images, des combinaisons de phrases et des combinaisons d’images. La langue est un réservoir gigantesque d’images, de concepts, de sonorités, et elle permet une infinité de combinaisons possibles ; autrement dit les Cassandre médiatiques qui prédisent la fin de la fiction et de la littérature de création peuvent continuer à parler dans le vent. Alors oui, inventer des rythmes, des personnages et des ambiances, des narrateurs, des dialogues, des décors… pas forcément des procédés narratifs. Un nouveau procédé narratif, c’est bien joli à entendre ; encore faut-il qu’il soit réellement neuf – ce qui n’est pas souvent le cas – , et surtout un véritable écrivain pour le servir. Lancer une idée vaguement neuve dans la cour des idées littéraires est une intention louable, mais créer le texte qui la justifierait n’est pas à la portée de tout le monde. A la Nouvelle Fiction, on reste humble par rapport à tout ça. On ne rajoute pas du boucan au raffut des plateaux télé. On travaille. On récupère du vieux pour faire du neuf, on malmène les mythes en leur rendant hommage, on triture l’héritage littéraire et artistique universel en incorporant des ingrédients plus contemporains, des façons de voir et de dire les choses plus actuelles, on effectue de nouvelles incursions dans l’inconscient, dans l’imaginaire collectif. Si tous les membres de la Nouvelle Fiction n'ont pas le talent de Châteaureynaud, ils ont au moins le mérite d’essayer, sans la moindre excuse, d’inventer de nouvelles histoires. Ce genre de petites attentions, pour le lecteur que je suis c’est énorme. Ca m’évite de sombrer dans la claustrophobie. Rencontrer quelqu’un qui, comme Châteaureynaud, a de l’imagination, quelqu’un qui sait encore me surprendre en racontant des histoires, eh bien ça me donne une pêche, vous pouvez pas savoir !
Alors - venons-y quand même au bout du compte ! - de quoi ces histoires sont-elles faites ? Figurez-vous qu’on y trouve un peu de tout. Un peu de tout mais en quantités variables, cela va de soi. Pour ce qui est des personnages principaux, nul besoin d’être grand clerc pour constater que les héros de Châteaureynaud sont des anti-héros. Jeunes garçons inexpérimentés ou hommes murs guettés par le flétrissement, individus peu gâtés par la nature et la fortune, mais encore capables de rêver. Rêver… De quoi ? Pas de gloire, ni de fortune phénoménale, encore moins de bâtir des empires, mais simplement, timidement, avec l’air de s’en excuser, d’un peu de bonheur. D’un peu d’amour.
Pour ce qui est de leur entourage, il est composé d’une foule de personnages hauts en couleur, de caractères bien trempés, brossés vigoureusement d’une plume souvent ironique et bien inspirée. Un lecteur superficiel aurait tort de les trouver caricaturaux, ces personnages de nouvelles, car les quelques mots, les quelques phrases que Châteaureynaud leur consacre valent mieux que des descriptions psychologiques à rallonge. N’est pas nouvelliste qui veut, et c’est sans doute l’un des talents de celui-ci que de parvenir sans gâcher du papier à camper un caractère sous nos yeux, avec ses forces et ses faiblesses, son clinquant et son pathétique.
Le décor est lui aussi composite : fait d’ingrédients rétros et d’éléments très contemporains. A noter ces noms inventés de toute pièce et qui reviennent constamment d’une manière ou d’une autre : « Ecorcheville », « Eparvay », des lieux que l’on rencontre tout au long de l’œuvre de Châteaureynaud. Nous retrouvons, à plusieurs reprises et dans des rôles différents, un certain Gorbius, tantôt docteur, tantôt directeur de cirque ; ce même Gorbius qui jouait déjà un rôle dans « Le congrès de fantomologie » (roman, Grasset, 1985). Présent également, sur une plaque de rue ou sous forme de statue, Mathieu Chain, héros du roman éponyme (Grasset, 1978). Toutes choses et personnages qui font partie de cet univers mouvant et singulier, palpable mais insaisissable, que Châteaureynaud, livre après livre, déplie sous nos yeux.
A ces personnages déshérités, Châteaureynaud offre durant quelques paragraphes, quelques pages pour les plus chanceux, un séjour au paradis. Il existe toujours un passage, dissimulé au creux des lignes, qu’un lecteur peu attentif survolera sans le voir. Une voie s’ouvre vers un monde rêvé, idéal, où l’amour et la grâce sont accordés à ces désespérés. Ainsi, le jeune garçon d’Eparvay-sur-Mer (« Les Ormeaux ») profitera d’une pêche à marée basse pour accéder à cet autre côté de la réalité, qu’il pressentait, ou qu’il appelait de tous ses vœux. Ainsi le chauffeur de taxi de la nouvelle « La rue Douce » se retrouvera-t-il, alors qu’il connaît sa ville mieux que tout autre, dans une rue inconnue, très longue et très animée, qu’aucun plan ne signale. Ainsi, dans « La seule mortelle », cette jeune habitante d’un village pouilleux des montagnes aura-t-elle l’occasion, pour le meilleur et pour le pire, de goûter un temps l’existence au paradis.
On retrouvera dans ce recueil deux longues nouvelles parues individuellement, « Les ormeaux » (éd. Du Rocher 1996) et « Civils de plomb » (éd. Du Rocher 2002).
Bref : inventivité, goût pour l’étrange et l’incongru, humour et poésie. Tout ce qu’il faut pour me plaire. Après avoir lu un tel recueil, ma foi, je me sens un peu triste. Parce qu’il me faudra attendre longtemps jusqu’au prochain ; le précédent recueil de Châteaureynaud, « Le goût de l’ombre », chez Actes Sud, date quand même de 1997…
Heureusement il y a le recueil d’Eric Faye qui m’attend : « Un clown s’est échappé du cirque » (éd. José Corti). A ce que j’en sais, ces deux auteurs ne se connaissent pas. Mais ils ont en commun ce goût pour les histoires étranges et le travail sur la langue. Tout ce qui me plait, quoi (je me répète mais je suis sur un blog, alors je n’ai rien contre la spontanéité, même si ce n’est pas mon fort à l’écrit. Si je m’amusais à bosser mes phrases comme je le fais pour mes nouvelles, mes romans, ou même pour certaines chroniques, on n’en finirait plus d’attendre vu qu’il me faut à peu près dix heures, dans le meilleur des cas, pour remplir un seul petit feuillet de 1500 signes…).
17:20 Publié dans Livre | Lien permanent
Allez, plus qu'une !
Plus qu'une seule nouvelle et je me lance dans la chronique du recueil de Châteaureynaud. C'est qu'elles sont assez longues, ces nouvelles, et puis, je suis pas mal occupé ces jours ci à rentrer du bois pour la suite de l'hiver ! Eh oui, si on veut avoir un peu chaud quand on lit, il faut s'organiser. Alors entre deux rangées de bûches, hop, une nouvelle. Ou vice versa.
10:36 Publié dans Livre | Lien permanent
25/02/2005
Le nouveau Eric Faye
Reçu ce matin (enfin !) le dernier livre d'Eric Faye : "Un clown s'est échappé du cirque" (nouvelles, éd. José Corti). Le temps de m'envoyer les trois dernières nouvelles du recueil de G. O. Châteaureynaud, "Singe savant tabassé par deux clowns", et je me plonge dans celui-ci. Etrange comme mes auteurs préférés se sont pris de passion pour le cirque en même temps...
Ah, pour info, le recueil d'Eric Faye contient "Dernier voyage en Pandora", un texte que nous avons publié dans le Salmigondis n°20.
12:15 Publié dans Livre | Lien permanent
24/02/2005
Salmigondis toujours en vie !
Alors comme ça, il paraît que Salmigondis et son concours de nouvelles n'existent plus !
C'est en tout cas ce que prétend la revue L'Encrier Renversé dans son dernier guide des concours de nouvelles. Si j'avais du temps à perdre je pourrais les enquiquiner pour avoir colporté une rumeur aussi dépourvue de fondement. A se demander, du coup, si les autres infos de leur guide des concours de nouvelles sont fiables... A l'heure où il suffit d'un coup de fil, ou d'une recherche rapide sur internet pour prendre contact avec nous et savoir ce qu'il en est, cette revue n'a pas hésité une seconde à balancer une info complètement bidon.
Certes, aucun numéro de Salmigondis n'est paru depuis plus d'un an, certes les manuscrits s'accumulent et nous mettons de plus en plus de temps à répondre, mais c'est le lot des petites revues dans notre genre que de prendre du retard. Notre organisation est loin d'être professionnelle. Nous nous occupons de Salmigondis de façon intermitente, quand nous avons le temps, quand nous sommes disponibles psychologiquement, quand notre compte en banque ne fait pas trop la gueule (la revue n'existerait pas si nous n'alimentions pas son compte avec nos propres deniers). Certains auteurs impatients qui nous prennent pour une multinationale nous accusent de snobisme lorsque nous ne leur répondons pas dans la semaine... Mais tout ceci n'a rien de bien original, et une revue telle que l'Encrier Renversé devrait le savoir. Je connais des revues qui se sont interrompues pendant trois ans et qui ont reparu quand elles ont pu. Nos lecteurs ont déjà eu l'occasion de constater combien nos délais de publication sont élastiques. Tout au plus certains nous écrivent-ils pour demander si tout va bien, ou, comme c'est arrivé récemment, pour savoir si nous avons besoin d'un coup de main.
En tout cas, que ceux qui parmi vous attendent le Salmigondis n°21 ne désespèrent pas. Il paraîtra quand il pourra, mais il paraîtra. Quant au concours de nouvelles Salmigondis, il n'a jamais été question non plus de le supprimer. Il n'est pas à l'ordre du jour. C'est tout.
11:22 Publié dans Livre | Lien permanent
22/02/2005
Attention chef d'oeuvre !
Je viens de lire “Le nom”, le roman de Jean-Jacques Nuel qui paraît ces jours-ci aux éditions A contrario. Et je dois dire qu’il a tenu ses promesses.
Un thème peu courant, un style minutieusement ciselé, une trame haletante. Pour peu qu’on s’intéresse à l’histoire de cet écrivaillon raté qui trouve un jour sa voie en déroulant les quatre lettres de son nom sur des centaines de feuilles format A4, et ne tarde guère à proposer aux éditeurs ce qu’il considère comme son chef d’œuvre.
Certes, pour entrer dans l’histoire, et y trouver ce que j’appelle, moi, sans hésiter, du suspens, il faut accepter une intrigue sans ninjas diaboliques, sans monstres aux yeux rouges et aux dents jaunes, ni meurtre en série et autres ingrédients quasi obligatoires dans les romans à suspens. Ici, le suspens provient exclusivement de cette question : « Jusqu’où ira-t-il ? » Ou plutôt « Jusqu’où ira-t-il sans devenir rengaine ? » Jean-Jacques Nuel se livre à une tentative d’épuisement du sujet. Tentative réussie. Tandis que de nombreux romans à l’ambition similaire pataugent très vite dans la semoule, épuisant leur sujet en moins de temps qu'il n'en faut pour tourner quelques pages, celui-ci parvient à offrir toujours de nouveaux angles d’approche, de nouveaux développements inattendus, livrant en même temps qu’une histoire absurde du plus pur style kafkaïen une satire du milieu littéraire, et de l’écrivaillon inconnu qui se prend pour une étoile.
Tour à tour loufoque et touchant, le roman de Jean-Jacques Nuel étonne surtout par la précision de son écriture : sans pathos, sans digression vaseuse, il parvient avec un sujet minimaliste à nous faire voyager, dans l’univers des mots et des phrases, des paragraphes, des pages… dans l’univers du livre. On y croise furtivement des personnages, des régions entières se déroulent sous nos yeux, qui ne sont que des éléments linguistiques auxquels Nuel a prêté une personnalité. La maniaquerie du héros, qui après avoir transformé son patronyme en nom commun prétend tout mettre en œuvre pour lui assurer un avenir florissant, devient elle-même un moteur de l’écriture, un moteur de l’histoire qui patiemment, minutieusement, déroule ses sept chapitres sous nos yeux comme autant d’étapes de la création d’un monde.
Les familiers de Jean-Jacques Nuel reconnaitront ici les thèmes qu’il avait traités dans ses textes courts (l’écriture, la solitude, l’hypertrophie de l’ego, le besoin maladif de laisser une trace) mais ils les retrouveront sous une autre forme, tant il est vrai que l’amplitude du texte les rend différents. Ils pourront constater que Jean-Jacques Nuel, s’il avait déjà fait ses preuves sur la courte distance, se révèle un excellent romancier. Qui s’ignorait...
Extrait :
« La grande vitre carrée de la fenêtre était couverte de buée, occultant l’extérieur. De son doigt, de l’index de la main droite, il commença par tracer au milieu de la vitre une ligne, puis une sorte de point à la suite. Il dessina en dessous les lettres de son nom, liées d’une écriture courbe et continue, avec lenteur, comme il avait fait plus d’une fois, enfant, dans la maison de ses parents. C’était un geste simple et familier, mais enfoui, remontant d’un lointain passé, qui avait précédé la pensée. Il regarda le dessin du nom, le bas des lettres alourdi d’eau. Puis il appliqua son œil derrière l’œil ouvert d’une lettre. La ville de l’autre côté du verre bougeait faiblement, son vacarme étouffé par la vitre froide et trempée. »
18:20 Publié dans Livre | Lien permanent