07/11/2005
Jean le pantalon
Jean le pantalon craque
Fibre après fibre Jean
S'évanouit
Bientôt ce n'est plus
Qu'une gigantesque effiloche
Pensante
Ressassante
Figée dans le souvenir
Des épopées de toile bleue
La pliure au genou
Etait alors sa belle fierté
Une pliure nette
Droite
Presque froide
Un monument voué corps
Et âme
A la perfection géométrique
La pliure de l'aine
Sévère et discrète
Mais toujours là
Mais toujours prête
Dans les moments de grande tension
Elle aussi se dévide en
Echeveau de fils ternis
Et c'est un bloc
Un pan tout entier de l'univers
Qui se noie
Dans un trou noir
Tout cela pourtant ne fera que très peu de bruit
--
(Extrait de "En soufflant sur des cendres", éd. Fer de Chances 1998)
08:50 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
06/11/2005
Sylt
un matin de bise
au nord de sylt
le gardien du phare se leva maigre
telles des contreforts rocheux
ses paumettes
et des crêtes broussailleuses
ses arcades
soulignées par la proue du nez
au-dessus d'un océan
de peau parcheminée
avant lui
karsten s'était levé sans poitrine
arno sans épiderme
holger sec et plat comme un hareng
lui s'éveilla maigre
et comme ses prédécesseurs sur l'îlot
il mourut de s'être éveillé autre
--
(extrait de "En soufflant sur des cendres", éd. Fer de Chances 1998)
22:55 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (6)
05/11/2005
Chroniques express 5
LA FILLE DU DJEBEL AMOUR
(Carnets d’Orient, tome 8)
Jacques Ferrandez
BD
Casterman
Hasard des Services de Presse, c’est encore un ouvrage sur l’Algérie (mon pays natal) que je vous propose de découvrir en quelques lignes. Ouvrage hélas moins inspiré que le précédent.
Jacques Ferrandez, qui sur les cinq premiers tomes des Carnets d’Orient avait produit un travail éblouissant, ne retrouve décidément pas la forme. Cette grande fresque où il s’est donné pour mission de faire revivre l’Algérie depuis 1831 a… cessé de vivre en 1953. Car le récit de la Guerre d’Algérie, auquel Ferrandez se consacre depuis maintenant trois tomes, ne réussit pas à s’animer devant nos yeux. Les dialogues sonnent faux, les personnages sont plats et inexpressifs ; ils ressemblent à des pantins mis en scène dans des situations édifiantes. On ne retrouve pas cette vitalité, ce langage et cette épaisseur que Ferrandez avait su donner à ses personnages précédents. Samia l’Algérienne et Octave le Français, amoureux transis pris dans la tourmente qui nous baladent d’un camp à l’autre en prononçant à destination du lecteur des sentences très pédagogiques, ne parviennent pas à faire illusion.
On reste sur l’impression d’un gachis énorme, car le dessinateur, l’aquarelliste Ferrandez, lui, est toujours là. Sa mise en page – après un passage à vide lors du septième tome, trop bavard – est redevenue magistrale, les paysages ont retrouvé de la profondeur. Ce qui plombe le travail, c’est la volonté de didactiser les événements afin que tout soit bien compris. Ferrandez, à tant vouloir expliquer, oublie de raconter.
09:20 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
03/11/2005
Chroniques express 4
CAMPING
Abdelkader Djemaï
Points Seuil
124 p. / 5 euros
Sortie en poche de cet excellent roman d’Abdelkader Djemaï, où l’on suit les pas d’un jeune garçon au camping zéro étoiles de Salamane. On y découvre, sous son regard moqueur mais dépourvu de férocité, une humanité haute en couleurs. Il y a le gérant Butagaz et son ventre impressionnant, il y a Keskess, qui tient une épicerie minuscule mais ambitieuse, il y a le fils du Colonel, occupé à jouer les gros bras sur son hors-bord, il y a Kinder Bueno, le môme gâté d’Aubervilliers de retour au pays pour les vacances, et surtout sa sœur Yasmina, avec ses yeux si verts ! Abdelkader Djemaï peint ce microcosme du camping dans une langue précise et facétieuse. Au fond du tableau, pourtant, roule une menace ; elle pèse sur cette vie qui certains jours ressemblerait presque au paradis. Ici encore, le propos d’Abdelkader Djemaï est universel : même si on reconnait les allusions à l’Algérie, et à la montée de l’intégrisme dans les années 90, le pays n’est pas nommé, la région non plus, et les événements pourraient facilement se transposer ailleurs, à une autre époque. C’est peut-être le plus grand talent de Djemaï que de parvenir à restituer fidèlement la mentalité d’une époque et d’un lieu, tout en lui donnant une parure universelle.
17:30 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (2)
02/11/2005
L'oeuf
Après qu’il eut passé la nuit enfoui dans l’édredon, le crâne enseveli sous un tumulus de coussins, Bénézet risqua la tête au dehors de son abri. Il retira ses boules Quies et aussitôt, la sirène qui hurlait depuis la veille au soir lui vrilla les tympans. Il semblait que l’intensité du son s’était encore accrue et Bénézet se crut bien frappé de folie. Il décrocha le combiné, composa le 18, mais la voix qui lui répondit mourut au bout du fil, dominée par la stridulation lancinante qui emplissait maintenant tout l’ appartement.
Bénézet se dirigea vers la cuisine, d’où le son semblait provenir. Il tituba en ouvrant le frigo, et dans un réflexe inopiné, empoigna le plus petit des oeufs. Le hurlement cessa, le bruit devint ronronnement. A l’aide d’une aiguille, il pratiqua une petite ouverture sur la coquille. Un sifflement aigu se fit entendre et l’instrument fut aspiré à l’intérieur, comme par succion. Bénézet lâcha l’objet qui rebondit sur le parquet sans se briser, avant de rouler et d’achever sa course contre le pied d’une chaise. Le silence emplit la pièce et Bénézet se trouva l’air bête, mains en appui sur les cuisses au-dessus d’un oeuf. Agacé, il sauta à pieds joints sur la petite boule beige, qui fit entendre un craquement. Au milieu des coquilles éclatées, l’aiguille brillait, propre et sèche sur le linoléum immaculé. Bénézet secoua la tête, s’en retourna vers sa chambre et se plongea avec délices dans les draps pour achever sa nuit. Avant de fermer les yeux, il pensa que personne ne le croirait jamais si la fantaisie le prenait de raconter ce qui lui était arrivé.
Il rêva qu’un oeuf gigantesque aspirait la mémoire de l’univers, laissant à sa place un cosmos en apesanteur, vide de toute histoire.
En ouvrant les yeux, il s’étonna que le cadran du réveil marque une heure aussi tardive. Il avait perdu au lit la moitié de son dimanche. Comme il réchauffait le café de la veille, il remarqua au pied de la table en formica des éclats de coquille, curieusement propres, sur lesquels dormait une aiguille, qu’il ramassa et remit dans la boîte à couture. Puis il balaya les débris d’un coup de brosse, les jeta dans le sachet plastique suspendu au loquet de la porte, et sortit pour profiter un peu de son dimanche.
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(Nouvelle extraite du recueil "Douze mètres cubes de littérature", éd. du Rocher, 2003
Première publication : NRF n°548, éd. Gallimard 1999)
20:50 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
Chroniques express 3
EVA MIRANDA
Giardino / Barbieri
BD
Casterman
Ron Stone, le riche héritier, veut épouser Cindy Cindy, la jolie boulangère. Les parents de Ron, devenus milliardaires grace à la production de jus d’ananas, et la mère de Cindy Cindy, qui cache un secret inavouable, s’opposent farouchement à ce mariage. Les choses se compliquent encore pour nos deux tourtereaux lorsqu’apparaît Eva Miranda, une intrigante prête à tout pour assouvir une obscure vengeance. Dans ce monde où l’ananas est incontournable (robes ananas, sacs ananas, coiffures, bijoux, décors ananas…), le kitsch règne en divinité omnipotente. Les dialogues grandiloquents et les mimiques théâtrales des personnages imitent à la perfection ceux que l’on trouve dans les soap opera télévisés. L’histoire est même entrecoupée de strips pubicitaires, et Giardino, au risque de décourager une partie de ses lecteurs potentiels, a poussé la vraisemblance jusqu’à proposer une couverture kitsch au possible.
Alors que l’on attend toujours (désespérément) le troisième tome de Jonas Fink, Giardino s’amuse avec son petit copain Barbieri. Heureusement qu’ils nous amusent aussi…
10:08 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (4)
01/11/2005
Chroniques express 2
LE MOCHE ET LA MOUCHE
Bernard Chatelet
éd. Mutine
roman
171 p. / 12 euros
Après une vie tristounette, déçu par les dérobades et le mépris de Nathalie, qu’il aime depuis les bancs de l’école primaire, Bernard Taboulet décide de se suicider. Mais une mouche apparaît dans le garage où il comptait mettre en scène son départ – le garage de ce pavillon payé laborieusement où il aurait voulu écouler son existence avec sa belle. Effrayé à l’idée que la mouche appartienne à l’espèce des nécrophages, et qu’elle enlaidisse encore son visage après sa mort, Taboulet hésite. Peu à peu, tandis que la grève des postes bloque la lettre d’adieu envoyée à Nathalie et retarde le déroulement de son plan macabre, il raconte à la mouche sa pauvre vie.
Mélange de loufoque et de désespoir, ce huitième ouvrage de Bernard Chatelet nous tient en haleine jusqu’au bout, en empruntant divers parcours narratifs (dont celui, très réussi, de la mouche).
21:25 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)