30/01/2006
Chroniques express 12
GASPARD LE BANDIT
Jacques Bens
Joëlle Losfeld
Roman
354 p. / 18, 50 euros
Le 13 février, France 2 programmera un téléfilm intitulé « Gaspard le bandit », adapté d’un roman de Jacques Bens (« Gaspard de Besse », éd. Ramsay, 1986). A cette occasion, les éditions Joëlle Losfeld republient ce roman, sous un titre sensiblement différent. Sur la couverture, un Jean-Hugues Anglade costumé dix-huitième siècle nous invite à ouvrir le livre. Et il fait bien ! En s’inspirant de la légende du plus célèbre bandit provençal, Jacques Bens, grand oulipien devant l’éternel, a encore une fois joué un jeu littéraire, celui du roman d’aventure. Et il l’a joué avec brio. Humour, suspense, paysages, costumes, amour, générosité, courage, moralité, tout y est (on trouve même des notes de bas de page, tant instructives que facétieuses). Mais ce tout ne serait pas grand chose sans une écriture rigoureuse. Jacques Bens, sans trop en faire, et en évitant (presque toujours) les tartines didactiques qui gâchent bon nombre de romans historiques, nous balade dans la Provence de 1770. Une Provence où comme ailleurs la Révolution Française s’annonce, lentement mais sûrement. A tel point que même les brigands dépouillent au nom de l’égalité ! Gaspard, jeune paysan de l’arrière-pays toulonnais, devient, suite à des circonstances malheureuses, bandit de grand chemin. Depuis sa première embuscade dans les gorges d’Ollioules avec deux associés encore plus débutants que lui jusqu’à son arrestation et son jugement à Aix-en-Provence, c’est toute la geste de Gaspard de Besse, chef de bande charismatique et renommé, qui nous est contée. La geste d’un bandit au grand cœur, épris d’aventures et de jolies femmes, plus agaçant que méchant. En effet, Gaspard n’assassine pas ses victimes : au pire il les enrage, au mieux il les fait rire. Gaspard s’occupe aussi de rétablir un peu de justice dans ce monde où commerçants et envoyés du roi peuvent ruiner leurs semblables en toute légalité, et il devient l’idôle de tout un peuple.
Sorte d’Arsène Lupin provençal, Gaspard de Besse a laissé dans la région une empreinte tenace, à tel point que mon beau-père, passionné d’archéologie et parcourant sans relâche les collines de son village pour collecter des tessons antiques, est suspecté depuis vingt ans de rechercher la « toupine », le fameux trésor que Gaspard de Besse y aurait caché. Mais laissons ces remarques personnelles, qui n’auraient rien à faire dans une critique de livre si celle-ci ne paraissait pas sur un blog… et conseillons plutôt la lecture de ce roman aux visiteurs dudit blog.
Pour ce qui est du téléfilm, je n’ai pas la télé (certains habitués de ce blog, d’ailleurs, commencent à le savoir), mais j’ai déjà prévu de me le faire enregistrer ! Jean-Hugues Anglade, acteur talentueux et sympathique, parviendra-t-il à nous faire oublier qu’il a trente ans de plus que le héros qu’il incarne ? C’est le défi que je vous propose de suivre le 13 février sur France 2, à 20 h 50.
21:40 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (2)
28/01/2006
Chroniques express 11
L’ART DU MAQUILLAGE
Sergio Kokis
Roman
359 p. / 19 euros
Les 400 coups
Le titre de ce roman laisserait penser à un ouvrage pratique… et il ne s’agit peut-être pas d’un hasard. En effet, l’histoire de Max Willem, ce jeune peintre canadien qui dans les années soixante-dix, d’expériences intimes en rencontres hasardeuses, se retrouve embrigadé dans un réseau fournissant l'Amérique du Nord en faux tableaux de maîtres pourrait presque se lire comme un mode d’emploi pour devenir faussaire. Depuis l’imitation des styles jusqu’aux techniques de vieillissement des tableaux, tout est minutieusement analysé, expliqué (parfois un peu trop longuement), tout s’insère dans un contexte réaliste, plausible, et cela fait peur. Peur de penser que ces réseaux de faussaires existent bel et bien, dans lesquels des artistes, des experts, des galeristes, des directeurs de musées et des universitaires travaillent main dans la main pour profiter de la crédulité d’un public avide de biens culturels. Sergio Kokis, par ailleurs passionné de peinture et peintre lui-même, ne semble pas avoir tout inventé, hélas.
A travers le parcours de Max, les sentiments ambivalents du faussaire par rapport à l’œuvre qu’il copie sont brillamment analysés. C’est aussi une très intéressante rétrospective de la peinture européenne que nous livrent les commentaires des différents personnages sur les tableaux ; leurs analyses et leurs commentaires de Schiele, Klimt, Kokoschka, Nolde, Rothko et autres Klee, peuvent être lus comme une proposition de critique, fragmentaire et subjective mais pertinente, de ces peintres.
Tout ceci laisse songeur, surtout quand on apprend par exemple, par la bouche de maître Guderius, ce Hollandais chez qui Max parachève son apprentissage, qu’ « entre 1909 et 1951, la seule douane du port de New York a enregistré le total faramineux de neuf mille quatre cent vingt-huit œuvres de Rembrandt importées légalement aux Etats-Unis »…
17:50 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (6)
25/01/2006
Chroniques express 10
JAPON
( Le Japon vu par 17 auteurs )
BD
Casterman
254 p. / 15, 95 euros
Dix-sept auteurs, en partie français, belges et japonais, ont séjourné quelques semaines au Japon avec pour mission de pondre une BD d’une quinzaine de pages inspirée de leur expérience personnelle. De ce recueil très varié sur le plan de la forme (les auteurs choisis appartenant à des tendances assez différentes, quoique toutes plutôt contemporaines), et très variable sur le plan de l’inspiration (pas facile de dire quelque chose quand on n’a… rien à dire), nous retiendrons tout d’abord la contribution de Nicolas de Crécy. Toujours aussi créatif et talentueux dans l’exécution du dessin (ici le trait foisonnant et artistiquement embrouillé rend à merveille une impression de déambulation dans une grande ville japonaise, en l’occurrence Nagoya), il imagine de donner vie à un « logo en devenir », graphisme à la forme encore instable parti au Japon avec pour mission d’observer les pictogrammes nombreux dans ce pays très porté sur l’image, et de s’en inspirer. Schuiten et Peeters plantent leur imaginaire à la fois futuriste et baroque en plein cœur d’Osaka, en 2034 : cela donne des architectures originales dans lesquelles on a plaisir à déambuler virtuellement, comme ce restaurant suspendu à 160 mètres au-dessus du sol, et dont le parterre est un aquarium à travers lequel on aperçoit la ville, légèrement floue, les poissons donnant l’impression de nager entre les maisons et les routes suspendues. Joann Sfar donne la parole à un personnage bien campé, un Français installé au Japon, très cynique à l’égard des Japonais et des Français, ce genre de personnages aux yeux desquels rien ne trouve grâce mais que l'on ne peut pas écouter sans éclater de rire. Pour ce qui est du dessin, en revanche, on peut déclarer sans hésiter que Joann Sfar (par ailleurs capable de très bien dessiner), ne s’est pas foulé (c’est peu de le dire…). Parmi les auteurs japonais, on retiendra Taiyo Matsumoto et sa légende du vieux Kankichi, et Daisuké Igarashi pour « La fête des chevaux grelots », tous deux inégaux sur le plan du dessin mais capables de produire des effets saisissants.
Un recueil collectif où le lecteur puisera selon son goût, et qui lui permettra de découvrir des auteurs, ou de suivre ceux qu'il connait déjà. Pour ce qui est du Japon, le lecteur désireux de le connaître plus précisément gagnera à se diriger plutôt vers un guide Gallimard. A de rares exceptions près, les auteurs présents dans ce recueil avaient bien compris qu'on ne leur demandait pas de nous transporter au Japon, mais seulement dans leur univers artistique. Ce qui est déjà beaucoup...
15:20 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
20/01/2006
Minute !
Petite info pour certains visiteurs de ce blog qui attendent peut-être impatiemment les résultats du concours littéraire de Salmigondis : il y a eu 275 participants cette année. Ce qui est réjouissant, mais fait beaucoup à lire, surtout que nous sommes tous bénévoles. Donc pas de panique si ça prend du temps ; nous lisons tout ça le plus sérieusement possible et nous espérons être en mesure d'expédier le palmarès aux participants aux alentours du mois de mars.
Quant au numéro de Salmigondis contenant les textes primés, eh bien il arrivera en temps et heure dans les 275 boîtes aux lettres, mais là encore il faudra être patient !!!
NB : Ces petites précisions paraîtront superflues aux vieux routards de l’univers revuistique, elles seront néanmoins utiles aux nouvelles plumes impatientes qui, dès le 12 janvier (soit moins d'un mois et demi seulement après la clôture du concours) ont commencé à nous reprocher de ne pas avoir reçu le palmarès et, je cite, « le numéro contenant les textes primés, ainsi que vous vous y étiez engagés »…
Nous ne nous sommes jamais engagés à être aussi rapides que le Nouvel Observateur. Il n’y a rien de comparable entre une revue littéraire de création animée par des bénévoles passionnés de littérature, et un magazine d’informations générales à gros tirage.
11:55 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (7)
12/01/2006
Après-midi polar
Samedi après-midi, de 15 h à 18 h, la librairie Montbarbon de Bourg-en-Bresse sera prise en otage par un groupe d'auteurs des éditions Nykta, et leurs éditeurs (France Baron et Claude-Jean Poignant). L'aimable clientèle sera priée de venir les écouter s'ils lisent des textes à haute voix, leur poser des questions s'ils débattent, et bien sûr de venir leur faire dédicacer leurs livres à la fin.
NB : Malheur à ceux qui passeront devant la vitrine sans venir leur graisser la patte ; des caméras seront installées sur les trois façades du bâtiment.
Liste des 10 polars ayant pour cadre un lieu du département de l'Ain (disponibles en coffret pour 46 euros) dans l'ordre de parution :
1/ T'iras pas cracher sur ma Dombes (Bernard Chatelet / Peronnas)
2/ L'homme aux oreilles de Jazz (Marie-Ella Stellfeld / Oyonnax)
3/ Seul un chuintement ténu (Robert ferraris / Attignat)
4/ Les larmes de Mélisende (Guillaume Verne / Bourg-en-Bresse)
5/ Indépendantiste jusqu'au bout des doigts (Gérard Tissot / Montluel)
6/ Veronica officinalis (Yvon Morel-Lab / Saint-Rémy)
7/ Autoroute A 3 (Ghislaine Damont-Gillet / Pont d'Ain)
8/ Les filles ça pleure (Mary-Bena Chatfeld / Nantua)
9/ La Bresse dans les pédales (Roland Fuentès / Polliat)
10/ Par temps de neige (Jean-François Dupont / Ambérieu)
17:35 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (10)
04/01/2006
Quizz
19:56 Publié dans Jeux | Lien permanent | Commentaires (0)
27/12/2005
L'homme orchestre
Il transportait dans sa tête un fouillis de choses brinquebalantes. Véritable fatras d'idées, de phrases, de formules hétéroclites glanées au fil de ses lectures, au hasard des conversations, elles étaient là, jetées pêle-mêle sans aucun discernement de leur contenu souvent contradictoire. Lorsqu'il pérorait, saturant l'atmosphère avec des embryons de pensées, bribes de réflexions assenées comme des évidences indiscutables, tout le monde faisait silence. Il pouvait réagir de manière imprévisible, selon ses impulsions, et la conversation quittait brusquement son cours logique, changeait d'orientation sans crier gare.
Habitués à ces sautes d'humeur fréquentes, ils avaient fini par déceler une certaine constance dans ses réactions : une fin de repas bien arrosé s'avérait propice à un crescendo politique aussi enfiévré qu'interminable, une pause café le ramenait à des considérations plus légères, qu'il ponctuait de son grand rire sarcastique. Les autres ne le contredisaient jamais. Discuter n'était pas leur fort ; lui discutait pour eux. Les explosions vocales ne les captivaient pas davantage ; lui criait pour eux. Mais de tout cela, ils ne s'en formalisaient plus depuis longtemps. Ses prêches et ses axiomes rythmaient leur quotidien ; c'était dans l'ordre des choses...
Jusqu'au jour où la vieille dérailla, lui tenant brusquement tête dans une de ces discussions où le sujet n'est que prétexte à montrer sa rage et ses dents. Elle lui tint tellement tête que le repas se prolongea bien au-delà des créneaux coutumiers. Ce fut une tablée bruyante, nerveuse, déversant autour de la maison par les fenêtres entrouvertes, à travers les cloisons et par la cheminée des hordes vengeresses de décibels ; cela mit toute la famille en émoi. Le voisinage aussi en fut alarmé. Dans sa démence, la vieille brisa cette fois-ci le silence de toute une vie, s'octroyant enfin une part équitable dans la conversation.
Il n'y survécut pas.
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extrait du recueil "Où elles vivent à présent" (éd. Orage-Lagune-Express 1999)
Nouvelle publiée auparavant dans la revue Courant d'ombre n°5
12:15 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (7)