28/01/2006
Chroniques express 11
L’ART DU MAQUILLAGE
Sergio Kokis
Roman
359 p. / 19 euros
Les 400 coups
Le titre de ce roman laisserait penser à un ouvrage pratique… et il ne s’agit peut-être pas d’un hasard. En effet, l’histoire de Max Willem, ce jeune peintre canadien qui dans les années soixante-dix, d’expériences intimes en rencontres hasardeuses, se retrouve embrigadé dans un réseau fournissant l'Amérique du Nord en faux tableaux de maîtres pourrait presque se lire comme un mode d’emploi pour devenir faussaire. Depuis l’imitation des styles jusqu’aux techniques de vieillissement des tableaux, tout est minutieusement analysé, expliqué (parfois un peu trop longuement), tout s’insère dans un contexte réaliste, plausible, et cela fait peur. Peur de penser que ces réseaux de faussaires existent bel et bien, dans lesquels des artistes, des experts, des galeristes, des directeurs de musées et des universitaires travaillent main dans la main pour profiter de la crédulité d’un public avide de biens culturels. Sergio Kokis, par ailleurs passionné de peinture et peintre lui-même, ne semble pas avoir tout inventé, hélas.
A travers le parcours de Max, les sentiments ambivalents du faussaire par rapport à l’œuvre qu’il copie sont brillamment analysés. C’est aussi une très intéressante rétrospective de la peinture européenne que nous livrent les commentaires des différents personnages sur les tableaux ; leurs analyses et leurs commentaires de Schiele, Klimt, Kokoschka, Nolde, Rothko et autres Klee, peuvent être lus comme une proposition de critique, fragmentaire et subjective mais pertinente, de ces peintres.
Tout ceci laisse songeur, surtout quand on apprend par exemple, par la bouche de maître Guderius, ce Hollandais chez qui Max parachève son apprentissage, qu’ « entre 1909 et 1951, la seule douane du port de New York a enregistré le total faramineux de neuf mille quatre cent vingt-huit œuvres de Rembrandt importées légalement aux Etats-Unis »…
17:50 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (6)
25/01/2006
Chroniques express 10
JAPON
( Le Japon vu par 17 auteurs )
BD
Casterman
254 p. / 15, 95 euros
Dix-sept auteurs, en partie français, belges et japonais, ont séjourné quelques semaines au Japon avec pour mission de pondre une BD d’une quinzaine de pages inspirée de leur expérience personnelle. De ce recueil très varié sur le plan de la forme (les auteurs choisis appartenant à des tendances assez différentes, quoique toutes plutôt contemporaines), et très variable sur le plan de l’inspiration (pas facile de dire quelque chose quand on n’a… rien à dire), nous retiendrons tout d’abord la contribution de Nicolas de Crécy. Toujours aussi créatif et talentueux dans l’exécution du dessin (ici le trait foisonnant et artistiquement embrouillé rend à merveille une impression de déambulation dans une grande ville japonaise, en l’occurrence Nagoya), il imagine de donner vie à un « logo en devenir », graphisme à la forme encore instable parti au Japon avec pour mission d’observer les pictogrammes nombreux dans ce pays très porté sur l’image, et de s’en inspirer. Schuiten et Peeters plantent leur imaginaire à la fois futuriste et baroque en plein cœur d’Osaka, en 2034 : cela donne des architectures originales dans lesquelles on a plaisir à déambuler virtuellement, comme ce restaurant suspendu à 160 mètres au-dessus du sol, et dont le parterre est un aquarium à travers lequel on aperçoit la ville, légèrement floue, les poissons donnant l’impression de nager entre les maisons et les routes suspendues. Joann Sfar donne la parole à un personnage bien campé, un Français installé au Japon, très cynique à l’égard des Japonais et des Français, ce genre de personnages aux yeux desquels rien ne trouve grâce mais que l'on ne peut pas écouter sans éclater de rire. Pour ce qui est du dessin, en revanche, on peut déclarer sans hésiter que Joann Sfar (par ailleurs capable de très bien dessiner), ne s’est pas foulé (c’est peu de le dire…). Parmi les auteurs japonais, on retiendra Taiyo Matsumoto et sa légende du vieux Kankichi, et Daisuké Igarashi pour « La fête des chevaux grelots », tous deux inégaux sur le plan du dessin mais capables de produire des effets saisissants.
Un recueil collectif où le lecteur puisera selon son goût, et qui lui permettra de découvrir des auteurs, ou de suivre ceux qu'il connait déjà. Pour ce qui est du Japon, le lecteur désireux de le connaître plus précisément gagnera à se diriger plutôt vers un guide Gallimard. A de rares exceptions près, les auteurs présents dans ce recueil avaient bien compris qu'on ne leur demandait pas de nous transporter au Japon, mais seulement dans leur univers artistique. Ce qui est déjà beaucoup...
15:20 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
20/01/2006
Minute !
Petite info pour certains visiteurs de ce blog qui attendent peut-être impatiemment les résultats du concours littéraire de Salmigondis : il y a eu 275 participants cette année. Ce qui est réjouissant, mais fait beaucoup à lire, surtout que nous sommes tous bénévoles. Donc pas de panique si ça prend du temps ; nous lisons tout ça le plus sérieusement possible et nous espérons être en mesure d'expédier le palmarès aux participants aux alentours du mois de mars.
Quant au numéro de Salmigondis contenant les textes primés, eh bien il arrivera en temps et heure dans les 275 boîtes aux lettres, mais là encore il faudra être patient !!!
NB : Ces petites précisions paraîtront superflues aux vieux routards de l’univers revuistique, elles seront néanmoins utiles aux nouvelles plumes impatientes qui, dès le 12 janvier (soit moins d'un mois et demi seulement après la clôture du concours) ont commencé à nous reprocher de ne pas avoir reçu le palmarès et, je cite, « le numéro contenant les textes primés, ainsi que vous vous y étiez engagés »…
Nous ne nous sommes jamais engagés à être aussi rapides que le Nouvel Observateur. Il n’y a rien de comparable entre une revue littéraire de création animée par des bénévoles passionnés de littérature, et un magazine d’informations générales à gros tirage.
11:55 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (7)
12/01/2006
Après-midi polar
Samedi après-midi, de 15 h à 18 h, la librairie Montbarbon de Bourg-en-Bresse sera prise en otage par un groupe d'auteurs des éditions Nykta, et leurs éditeurs (France Baron et Claude-Jean Poignant). L'aimable clientèle sera priée de venir les écouter s'ils lisent des textes à haute voix, leur poser des questions s'ils débattent, et bien sûr de venir leur faire dédicacer leurs livres à la fin.
NB : Malheur à ceux qui passeront devant la vitrine sans venir leur graisser la patte ; des caméras seront installées sur les trois façades du bâtiment.
Liste des 10 polars ayant pour cadre un lieu du département de l'Ain (disponibles en coffret pour 46 euros) dans l'ordre de parution :
1/ T'iras pas cracher sur ma Dombes (Bernard Chatelet / Peronnas)
2/ L'homme aux oreilles de Jazz (Marie-Ella Stellfeld / Oyonnax)
3/ Seul un chuintement ténu (Robert ferraris / Attignat)
4/ Les larmes de Mélisende (Guillaume Verne / Bourg-en-Bresse)
5/ Indépendantiste jusqu'au bout des doigts (Gérard Tissot / Montluel)
6/ Veronica officinalis (Yvon Morel-Lab / Saint-Rémy)
7/ Autoroute A 3 (Ghislaine Damont-Gillet / Pont d'Ain)
8/ Les filles ça pleure (Mary-Bena Chatfeld / Nantua)
9/ La Bresse dans les pédales (Roland Fuentès / Polliat)
10/ Par temps de neige (Jean-François Dupont / Ambérieu)
17:35 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (10)
27/12/2005
L'homme orchestre
Il transportait dans sa tête un fouillis de choses brinquebalantes. Véritable fatras d'idées, de phrases, de formules hétéroclites glanées au fil de ses lectures, au hasard des conversations, elles étaient là, jetées pêle-mêle sans aucun discernement de leur contenu souvent contradictoire. Lorsqu'il pérorait, saturant l'atmosphère avec des embryons de pensées, bribes de réflexions assenées comme des évidences indiscutables, tout le monde faisait silence. Il pouvait réagir de manière imprévisible, selon ses impulsions, et la conversation quittait brusquement son cours logique, changeait d'orientation sans crier gare.
Habitués à ces sautes d'humeur fréquentes, ils avaient fini par déceler une certaine constance dans ses réactions : une fin de repas bien arrosé s'avérait propice à un crescendo politique aussi enfiévré qu'interminable, une pause café le ramenait à des considérations plus légères, qu'il ponctuait de son grand rire sarcastique. Les autres ne le contredisaient jamais. Discuter n'était pas leur fort ; lui discutait pour eux. Les explosions vocales ne les captivaient pas davantage ; lui criait pour eux. Mais de tout cela, ils ne s'en formalisaient plus depuis longtemps. Ses prêches et ses axiomes rythmaient leur quotidien ; c'était dans l'ordre des choses...
Jusqu'au jour où la vieille dérailla, lui tenant brusquement tête dans une de ces discussions où le sujet n'est que prétexte à montrer sa rage et ses dents. Elle lui tint tellement tête que le repas se prolongea bien au-delà des créneaux coutumiers. Ce fut une tablée bruyante, nerveuse, déversant autour de la maison par les fenêtres entrouvertes, à travers les cloisons et par la cheminée des hordes vengeresses de décibels ; cela mit toute la famille en émoi. Le voisinage aussi en fut alarmé. Dans sa démence, la vieille brisa cette fois-ci le silence de toute une vie, s'octroyant enfin une part équitable dans la conversation.
Il n'y survécut pas.
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extrait du recueil "Où elles vivent à présent" (éd. Orage-Lagune-Express 1999)
Nouvelle publiée auparavant dans la revue Courant d'ombre n°5
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22/12/2005
Radio Salmigondis
Salmigondis à la radio, ça continue !
C'est le samedi sur RCF 01, de 11 h 03 à 12 h 00, dans l'émission "Délires d'initiés". On y parle aussi de sport (Delphine), de cuisine (Karine, Yvonne, Eliane...), d'internet (Frédéric), et parfois de cinéma.
Samedi 24, je vous parlerai d'un recueil collectif BD intitulé "JAPON, le Japon vu par 17 auteurs". Pour ceux qui nauraient ni la chance d'habiter dans l'Ain, ni le temps de déménager d'ici le 24, il y aura aussi, bientôt, une chronique sur ce blog.
11:35 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (3)
18/12/2005
Chroniques express 9
CARNET DE LETTONIE
Christophe Blain
Ed. Casterman
Les résidences d’artistes sont à la mode, elles se développent comme des champignons. Si elles favorisent souvent des échanges intéressants avec le public, il faut reconnaître que certains écrivains ou plasticiens, faute d’une inspiration réelle pour le thème imposé par l’institution organisatrice de la résidence, n'y produisent pas toujours des œuvres à la hauteur de leur talent.
Christophe Blain, lui, s’est très bien sorti de cet exercice périlleux. Chargé de remettre à son éditeur un carnet de voyage sur la Lettonie après deux courts séjours dans le pays (une semaine en hiver, et une en été), l’auteur de « Isaac le Pirate » a évité le piège qui aurait consisté à nous proposer un guide Gallimard au rabais de la Lettonie. Ici, pas d’historique du pays (la ligue hanséatique, par exemple, n'est mentionnée nulle part, pas même lorsqu'il est question de Riga), pas la moindre carte géographique, et surtout pas d'analyse politico-sociologique. Nous sommes dans le carnet de voyage d’un dessinateur français qui ne connaît pas la Lettonie, et qui ne prétend surtout pas nous en donner un aperçu détaillé après une aussi courte imprégnation. Alors que certains, forts d'une expérience minuscule, s'autoriseraient à instruire les autres, cette modestie honore Christophe Blain.
Notre artiste résident gribouille, croque, et croque encore pour obéir à cette petite voix dans sa tête qui lui demande de dessiner encore et toujours plus : des paysages, des gens, des petites scènes dans la marge, où en quelques traits expressifs il se représente dans ses péripéties lettones. Il dessine dans le froid, il dessine depuis la fenêtre de sa résidence, il dessine dans la voiture pendant que sa guide lui fait traverser le pays. Il ne s’interdit pas quelques tricheries, par exemple ce paysage recomposé à partir de plusieurs éléments aperçus à travers la vitre.
Notre artiste résident écrit aussi, puisque son éditeur le lui impose (il aurait préféré, lui, rapporter un « carnet contemplatif »…). Il écrit à côté de ses dessins, au-dessous, au-dessus, il écrit petit, parfois à la limite de l’illisible, il écrit certaines choses qui lui passent par la tête, des remarques très spontanées, voire candides, et il parvient à créer une certaine proximité. Nous sommes avec lui quand il s’étonne que tout le monde, dans la rue, porte un sac plastique ; nous sommes encore avec lui chaque fois qu’il demande si tout se passe bien avec les Russes, et qu’on lui répond ce sempiternel et ambigu « Ça va. »
Ce qui nous reste de cette lecture, outre l’envie de découvrir nous aussi la Lettonie, c’est l’impression d’avoir vécu avec ce petit monde, tellement vivant, pendant quelques dizaines de pages.
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