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05/11/2005

Chroniques express 5

LA FILLE DU DJEBEL AMOUR
(Carnets d’Orient, tome 8)
Jacques Ferrandez
BD
Casterman


Hasard des Services de Presse, c’est encore un ouvrage sur l’Algérie (mon pays natal) que je vous propose de découvrir en quelques lignes. Ouvrage hélas moins inspiré que le précédent.
Jacques Ferrandez, qui sur les cinq premiers tomes des Carnets d’Orient avait produit un travail éblouissant, ne retrouve décidément pas la forme. Cette grande fresque où il s’est donné pour mission de faire revivre l’Algérie depuis 1831 a… cessé de vivre en 1953. Car le récit de la Guerre d’Algérie, auquel Ferrandez se consacre depuis maintenant trois tomes, ne réussit pas à s’animer devant nos yeux. Les dialogues sonnent faux, les personnages sont plats et inexpressifs ; ils ressemblent à des pantins mis en scène dans des situations édifiantes. On ne retrouve pas cette vitalité, ce langage et cette épaisseur que Ferrandez avait su donner à ses personnages précédents. Samia l’Algérienne et Octave le Français, amoureux transis pris dans la tourmente qui nous baladent d’un camp à l’autre en prononçant à destination du lecteur des sentences très pédagogiques, ne parviennent pas à faire illusion.
On reste sur l’impression d’un gachis énorme, car le dessinateur, l’aquarelliste Ferrandez, lui, est toujours là. Sa mise en page – après un passage à vide lors du septième tome, trop bavard – est redevenue magistrale, les paysages ont retrouvé de la profondeur. Ce qui plombe le travail, c’est la volonté de didactiser les événements afin que tout soit bien compris. Ferrandez, à tant vouloir expliquer, oublie de raconter.

09:20 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

03/11/2005

Chroniques express 4

CAMPING
Abdelkader Djemaï
Points Seuil
124 p. / 5 euros


Sortie en poche de cet excellent roman d’Abdelkader Djemaï, où l’on suit les pas d’un jeune garçon au camping zéro étoiles de Salamane. On y découvre, sous son regard moqueur mais dépourvu de férocité, une humanité haute en couleurs. Il y a le gérant Butagaz et son ventre impressionnant, il y a Keskess, qui tient une épicerie minuscule mais ambitieuse, il y a le fils du Colonel, occupé à jouer les gros bras sur son hors-bord, il y a Kinder Bueno, le môme gâté d’Aubervilliers de retour au pays pour les vacances, et surtout sa sœur Yasmina, avec ses yeux si verts ! Abdelkader Djemaï peint ce microcosme du camping dans une langue précise et facétieuse. Au fond du tableau, pourtant, roule une menace ; elle pèse sur cette vie qui certains jours ressemblerait presque au paradis. Ici encore, le propos d’Abdelkader Djemaï est universel : même si on reconnait les allusions à l’Algérie, et à la montée de l’intégrisme dans les années 90, le pays n’est pas nommé, la région non plus, et les événements pourraient facilement se transposer ailleurs, à une autre époque. C’est peut-être le plus grand talent de Djemaï que de parvenir à restituer fidèlement la mentalité d’une époque et d’un lieu, tout en lui donnant une parure universelle.

17:30 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (2)

02/11/2005

L'oeuf

Après qu’il eut passé la nuit enfoui dans l’édredon, le crâne enseveli sous un tumulus de coussins, Bénézet risqua la tête au dehors de son abri. Il retira ses boules Quies et aussitôt, la sirène qui hurlait depuis la veille au soir lui vrilla les tympans. Il semblait que l’intensité du son s’était encore accrue et Bénézet se crut bien frappé de folie. Il décrocha le combiné, composa le 18, mais la voix qui lui répondit mourut au bout du fil, dominée par la stridulation lancinante qui emplissait maintenant tout l’ appartement.
Bénézet se dirigea vers la cuisine, d’où le son semblait provenir. Il tituba en ouvrant le frigo, et dans un réflexe inopiné, empoigna le plus petit des oeufs. Le hurlement cessa, le bruit devint ronronnement. A l’aide d’une aiguille, il pratiqua une petite ouverture sur la coquille. Un sifflement aigu se fit entendre et l’instrument fut aspiré à l’intérieur, comme par succion. Bénézet lâcha l’objet qui rebondit sur le parquet sans se briser, avant de rouler et d’achever sa course contre le pied d’une chaise. Le silence emplit la pièce et Bénézet se trouva l’air bête, mains en appui sur les cuisses au-dessus d’un oeuf. Agacé, il sauta à pieds joints sur la petite boule beige, qui fit entendre un craquement. Au milieu des coquilles éclatées, l’aiguille brillait, propre et sèche sur le linoléum immaculé. Bénézet secoua la tête, s’en retourna vers sa chambre et se plongea avec délices dans les draps pour achever sa nuit. Avant de fermer les yeux, il pensa que personne ne le croirait jamais si la fantaisie le prenait de raconter ce qui lui était arrivé.
Il rêva qu’un oeuf gigantesque aspirait la mémoire de l’univers, laissant à sa place un cosmos en apesanteur, vide de toute histoire.

En ouvrant les yeux, il s’étonna que le cadran du réveil marque une heure aussi tardive. Il avait perdu au lit la moitié de son dimanche. Comme il réchauffait le café de la veille, il remarqua au pied de la table en formica des éclats de coquille, curieusement propres, sur lesquels dormait une aiguille, qu’il ramassa et remit dans la boîte à couture. Puis il balaya les débris d’un coup de brosse, les jeta dans le sachet plastique suspendu au loquet de la porte, et sortit pour profiter un peu de son dimanche.

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(Nouvelle extraite du recueil "Douze mètres cubes de littérature", éd. du Rocher, 2003
Première publication : NRF n°548, éd. Gallimard 1999)

20:50 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

Chroniques express 3

EVA MIRANDA
Giardino / Barbieri
BD
Casterman


Ron Stone, le riche héritier, veut épouser Cindy Cindy, la jolie boulangère. Les parents de Ron, devenus milliardaires grace à la production de jus d’ananas, et la mère de Cindy Cindy, qui cache un secret inavouable, s’opposent farouchement à ce mariage. Les choses se compliquent encore pour nos deux tourtereaux lorsqu’apparaît Eva Miranda, une intrigante prête à tout pour assouvir une obscure vengeance. Dans ce monde où l’ananas est incontournable (robes ananas, sacs ananas, coiffures, bijoux, décors ananas…), le kitsch règne en divinité omnipotente. Les dialogues grandiloquents et les mimiques théâtrales des personnages imitent à la perfection ceux que l’on trouve dans les soap opera télévisés. L’histoire est même entrecoupée de strips pubicitaires, et Giardino, au risque de décourager une partie de ses lecteurs potentiels, a poussé la vraisemblance jusqu’à proposer une couverture kitsch au possible.
Alors que l’on attend toujours (désespérément) le troisième tome de Jonas Fink, Giardino s’amuse avec son petit copain Barbieri. Heureusement qu’ils nous amusent aussi…

10:08 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (4)

01/11/2005

Chroniques express 2

LE MOCHE ET LA MOUCHE
Bernard Chatelet
éd. Mutine
roman
171 p. / 12 euros


Après une vie tristounette, déçu par les dérobades et le mépris de Nathalie, qu’il aime depuis les bancs de l’école primaire, Bernard Taboulet décide de se suicider. Mais une mouche apparaît dans le garage où il comptait mettre en scène son départ – le garage de ce pavillon payé laborieusement où il aurait voulu écouler son existence avec sa belle. Effrayé à l’idée que la mouche appartienne à l’espèce des nécrophages, et qu’elle enlaidisse encore son visage après sa mort, Taboulet hésite. Peu à peu, tandis que la grève des postes bloque la lettre d’adieu envoyée à Nathalie et retarde le déroulement de son plan macabre, il raconte à la mouche sa pauvre vie.
Mélange de loufoque et de désespoir, ce huitième ouvrage de Bernard Chatelet nous tient en haleine jusqu’au bout, en empruntant divers parcours narratifs (dont celui, très réussi, de la mouche).

21:25 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

Chroniques express 1

Pas le temps de plancher sur des chroniques grandeur nature. Alors voici, en quelques lignes, mes derniers coups de cœur en littérature et en BD.


UNE VIE NULLE PART
John Burnside
Ed. Métailié
425 p. / 22 euros

La vie de plusieurs familles pauvres dans une ville industrielle d’Angleterre durant les années 70-80. Les points de vue des différents personnages sont rendus magistralement. Pour résumer très sommairement : il y a ceux qui s’efforcent de rentrer dans le moule, ou d’appartenir à un clan (et leurs raisons ne sont pas inintéressantes), et il y a ceux qui tentent de sortir du moule, pour partir à la recherche d’eux-même, pour retrouver une vérité, une nature enfouie sous la couche sale d’un quotidien violent et laborieux. Ceux-là récoltent au mieux l’incompréhension, au pire la haine aveugle.
L’écriture très poétique et la phrase ample mais vigoureuse de Burnside atténuent la noirceur de cette chronique sociale. Une histoire très riche, et à la construction originale.



SHELENA
René Follet / Jéromine Pasteur
BD
Casterman
64 p. / 13, 75 euros

Adaptation en BD du roman de Jéromine Pasteur. Dessin en couleurs directes très réussi, beaucoup d’expressivité. Mise en page aérée et vigoureuse. L’histoire pourrait être intéressante : à Panama, depuis la fin du 19ème siècle, une malédiction poursuit une famille ; cela conduira l’aïeule, la chef du clan, à s’exiler sur une côte sauvage. Elle y fondera un village, attentive toute sa vie à détourner la malédiction, au risque de se montrer impitoyable, et de brider les désirs de ses descendants.
Hélas, l’adaptation sent le résumé : le rythme, enlevé et surprenant au début, devient accumulation de péripéties ; on n’a plus le temps de s’attacher aux personnages, les générations défilent de plus en plus vite et lorsqu’arrive la fin, on se rend compte qu’on a décroché. Dommage.

10:05 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

19/10/2005

Chroniques aléatoires

Georges BESS
BD
Casterman
280 p. / 15, 75 ∈

Grand bourlingueur du carton à dessins devant l’éternel, Georges Bess a décidé de confier chaque jour à cet album ventripotent (près de 300 pages) une courte chronique dessinée. Ladite chronique se trouve sur la page de droite, toujours. Elle met en scène l’auteur : quadragénaire au look tranquille (jeans, cheveux longs, bouc) mais au visage préoccupé. Seul dans un univers qui se réduit à un rivage borné par de hautes falaises et des étendues pierreuses immenses. C’est dans cet univers que l’auteur, représenté dans des poses tant hétéroclites qu’expressives avec une maestria qui rendra jaloux tous les étudiants des Beaux Arts, l’auteur, donc, se promène en méditant. Ses méditations passent en revue diverses questions métaphysiques et on pourrait les prendre au sérieux si la dérision ne rôdait pas tout près. Sans vraiment écraser la planche, sans tourner le propos en ridicule, mais apportant un recul salutaire à ces méditations de promeneur solitaire. C’est un humour du décalage et de l’incongru, avec une pointe de poésie, plus ou moins sensible selon l’humeur du moment, comme dans cette chronique où il dessine sur les arbres, sur les vagues, sur l’air… ou comme cette autre où il se représente en Chinois (ah, magie du dessin !) pour voir comment ça fait d’adopter, l’espace de quelques cases, une autre vision du monde.
Sur la page de gauche, tel un décor qui accompagnerait chaque chronique, ce sont des paysages crayonnés. Paysages de bords de mer, statiques, désolés… jusqu’à un certain point. Car parfois les ingrédients du paysage se mettent à bouger : les pierres s’envolent, deviennent des oiseaux, les nuages deviennent des poissons, et les poissons des nuages. Tout ceci graduellement, au fil des pages que l’on tourne, un peu comme dans ces carnets qui, feuilletés rapidement, produisent l’impression d’un dessin animé.
Au final, même si l’auteur ne parvient pas à nous captiver jusqu’au bout (sans doute ce livre aurait-il gagné à être élagué, pour ne conserver que les meilleures chroniques) il reste quelque chose de cette lecture : on a pris un grand bol d’air, un recul salutaire face aux « grandes » et « petites » questions existentielles, et surtout, on a assisté à une magistrale leçon de dessin.

23:45 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)