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18/10/2005

Après le train, le vélo...

Réservez vite votre tour, les places dans la file seront chères : Jean-François Dupont et moi-même, nous signerons nos petits derniers ("Par temps de neige" pour Jean-François, "La Bresse dans les pédales" pour bibi) à la Librairie du Théâtre, à Bourg-en-Bresse, samedi 22 octobre de 10 h à 19 h.
Ces deux ouvrages sont publiés dans la collection "Petite nuit" des éditions Nykta, collection mythique, consacrée au polar.
Oui, si je vous conseille très amicalement de réserver votre tour, c'est parce que dimanche dernier, ayant laissé Gilles seul sur le stand de Salmigondis au Salon de la Revue, j'ai provoqué une émeute parmi mes fans en débarquant à 15 h 25 au Salon du Livre d'Attignat. Certains m'attendaient depuis 6 h du matin, fébriles, le visage parcouru de tics et la respiration courte. Bilan de mon arrivée : 18 morts, 65 blessés.
Du côté de Jean-François, qui était pourtant là depuis le matin mais devait quitter Attignat à 18 h, soit 2 h avant la fin du salon, le bilan était encore plus lourd : 52 syncopes, 44 suicides, 2 apendicites...
Alors, je vous aurai prévenus : levez-vous très tôt samedi pour avoir une chance de nous approcher à la librairie du Théâtre. Et venez casqués !

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14/10/2005

Pour le train

Juste avant de prendre le train pour le Salon de la Revue (Espace Blancs Manteaux, rue Vieille du Temple, Paris 4ème, pour ceux qui brûlent de rencontrer les quelques centaines de revues présentes), bref, juste avant de prendre le train, je reçois le petit dernier d'Eric Faye : "Mes trains de nuit", à paraître le 19 octobre chez Stock. Je suis sûr que ce petit livre bleu nuit sera un excellent compagnon de voyage, et que je vous en reparlerai très bientôt ici.
A+

09:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (5)

08/10/2005

Terre

Mauvaise pêche. Un orteil de titan faisandé. Ça trônait au milieu du marais salant, depuis quelques jours. En périphérie tout commençait à pourrir. La saumure, devenue sauce brune, sentait si fort que j’ai dû m’appuyer un linge sur la figure, accrocher d’une seule main l’oripeau qui se délitait à chaque secousse, le traîner sur la rive, le balancer dans la benne, me réfugier à l’intérieur du Berlier, vitres fermées, gaz lâchés, langue de terre avalée sans dire “ouf !” pour vider l’indésirable dans la fosse commune et l’ensevelir sous de grandes pelletées de chaux vive.
On l’avait vu tomber, Costes et moi. C’était une journée à ne pas quitter le ciel des yeux parce qu’il en atterrissait de partout. Il y eut, cette fois-là, quelques morceaux gigantesques et de beaux dégâts. Une épaule de titan aplatit la médiathèque d’Arles. A Port-de-Bouc, plusieurs toitures essuyèrent une grêle d’incisives divines. Il fallait récolter le tout sans tarder si on ne voulait pas que ces reliques empuantissent le pays. Comme on n’a guère eu le loisir, depuis, de traîner vers Salins-de-Giraud, l’orteil en a profité pour gâter la saumure. Les pièces les plus nombreuses s’étaient abattues dans la plaine de la Crau. Retour aux origines ? Certains hellénistes localisent à cet endroit le combat entre les dieux et les titans.
Ç’avait dû être un brave feu d’artifice. Ces créatures hors normes en fureur, déménageant ciel et terre pour se cogner à pleins bras. L’univers avait certainement tremblé. Costes tenait de longue date une théorie à ce propos : si les corps disloqués, les membres sectionnés, tout ce petit peuple de restes divins ou titanesques n’avaient pas été retrouvés sur terre, c’est qu’ils avaient été projetés dans la stratosphère. Alors que ce combat mythique se fossilisait depuis longtemps dans les livres, voilà que le trou dans la couche d’ozone donnait raison à Costes en nous restituant les dépouilles congelées des protagonistes. Le ciel devenait incontinent : il ne retenait plus rien. Après les bouts de titans, nous allions récolter un tas d’embêtements. “Bon dieu, Roussin, et si le ciel se faisait la malle ?” C’était la question lancinante de Costes. A force de me la poser, il m’avait persuadé de prendre les choses très au sérieux. Ce que la population considérait comme un dérèglement folklorique, annonçait un cataclysme épouvantable. “Et si le ciel, fatigué de nous voir si pitoyables, se faisait la malle, dis, Roussin ! C’est toute la famille des étoiles et des comètes qui nous fondrait dessus, sans oublier les déchets moins nobles qui polluent la stratosphère !”
A cet endroit du raisonnement, Costes revenait parfois sur ses mots. Rien n’indiquait avec certitude que les étoiles, les galaxies, les débris de titans et de satellites géostationnaires n’appartenaient pas au ciel. Aussi bien, tout disparaîtrait en même temps et seul resterait au-dessus de nous le noir de la nuit – à condition que ce noir lui-même soit à distinguer du ciel. Dans l’autre hypothèse, il fallait se préparer à recevoir beaucoup de choses sur nos têtes. Hors de question, dès lors, de poursuivre une existence insouciante à la surface de la terre. Mourir aplati par un dernier cadeau du ciel en fuite, même sur le coup, même sans souffrir, ne chaut à personne. Nos dernières journées à l’air libre étaient comptées. C’est sous nos pieds que nos esprits évoluaient à présent, projetant des échappatoires miraculeuses. Nous bâtissions des palais enfouis au cours d’interminables soirées, attablés au chevet d’un flacon de gnôle et d’une platée de flageolets. A mesure que le liquide chatouillait nos langues, la métaphysique s’emparait de nos paroles. Nos gestes remuaient l’air de la cuisine, et lorsque le sommeil nous appuyait sur la nuque, il demeurait impossible à déterminer qui, de la métaphysique ou de la gnôle, avait eu le dernier mot.

Il fallait creuser profond. Costes n’appréciait pas la facilité ; cette épreuve que le ciel nous envoyait le mettait plus en joie qu’en souci. Il avait déniché un terrain idéal pour opérer, une colline de pur calcaire à l’air vaguement affaissé mais plutôt bonhomme, qui formait comme une verrue en lisière des étangs. Costes frappait dur, les blocs fusaient sous sa masse, aussi friables que du sucre. Avec mon Berlier, je récupérais les plus gros et je m’appliquais à monter autour de notre promontoire une digue qui nous protégerait d’un éventuel raz-de-marée.
En averses passagères, les débris célestes se déposaient autour de nous. Des bruits couraient, des rumeurs irisaient la surface des marais, sautaient de ferme en village. On aurait aperçu, à Fos, la madonne en sous-vêtements, décrochée du firmament sans avoir pu s’apprêter. A Martigues, à Istres, à Miramas, une pluie d’angelots aurait sectionné des fils téléphoniques. Vraiment, les choses partaient en biberine, mais nous n’avions plus le loisir d’écouter les rumeurs. Les craintes de Costes se trouvaient confirmées ; d’un moment à l’autre, c’est le ciel tout entier qui nous tomberait sur le chapeau.
Il avait récupéré du bitume dans une cuve. Abandonnée ou non – Costes ne s’embarassait guère avec des questions d’éthique –, peu lui importait du moment que ça collait bien. Il consolidait les parois de son trou avec cette pâte noire dont l’odeur m’incitait à occuper mes journées au loin. Lui s’en grisait au contraire, bitumant chaque mètre gagné en profondeur. Au soir, tandis que d’autres auraient succombé, fumés comme des harengs, Costes ressortait de son trou aussi frais qu’un gardon. Le gosier sec et la formule métaphysique perlant sous la lèvre, il s’installait dans la cuisine avec ses relents d’hydrocarbures, et je devais m’envoyer deux fois plus de gnôle pour supporter sa compagnie.
La perspective d’écouler le restant de ses jours sous terre rendait mon compagnon plutôt guilleret, comme si sa vie entière il avait attendu l’occasion de relever un tel défi. Il fallait faire provision de lumière. Comme on ne pouvait se fier au monde extérieur – les centrales électriques seraient vraisemblablement touchées par les fuites célestes – Costes n’envisageait pas de tirer des câbles au fond de son trou. Il entassait des bougies et des piles, des centaines de piles. “Avec ça, Roussin, on pourra tenir quelques années là-dessous. Le temps de voir venir. Après, il faudra bien que tu te mettes au bitume. Tu le diras à tes narines. Le bitume, ça sert à tout. Ça isole, ça tient chaud, et ça brûle aussi très bien. En Mésopotamie, nos ancêtres en consommaient des quantités impressionnantes.”

Évidemment, se posait le problème de la nourriture. Les conserves seraient périmées dans cinq ans, huit tout au plus. Costes considérait tout cela comme un détail, à peine une plaisanterie ; lorsque j’évoquais l’affaire, il m’appliquait une bourrade sur l’épaule et me servait un bon verre. “Un plant de tomates, ça n’occupe guère de place, et quand on en prend soin, ça donne tous les jours. Pour accompagner la tomate, rien de meilleur qu’un oeuf frais. J’emmènerai donc une poule.” “Juste une ?” je l’interrogeais lorsque mon verre était vide. “Écoute Roussin, une bête, quand on l’aime, ça ne meurt pas. Et ça pond, oh oui, ça pond !” Là-dessus, il me remplissait un nouveau verre, puis il lâchait, en bourrant mon autre épaule : “Si ton corps assimile bien la gnôle et les féculents aujourd’hui, tu pourras te contenter d’oeufs et de tomates jusqu’à la fin de tes jours. Le corps, ça fait pas beaucoup de bruit, mais ça stocke un maximum !”
La digue s’élevait. Elle dépassait d’une tête notre promontoire fatigué, projetant son comptant d’ombre à ses pieds. J’aurais pu en rester là et donner un coup de main à ma taupe de compagnon, mais l’odeur du bitume ne séduisait toujours pas mes narines. J’allais de plus en plus loin pour dénicher des blocs. J’accomplissais aussi une oeuvre de salubrité publique en évacuant les débris de titans oubliés çà et là. S’y ajoutaient quelques bouts de dieux, moins nombreux mais non moins fétides, et des carlingues de satellites, des éclats d’astéroïdes, des rayons de soleil brisés. Je pêchais, sachant que la plupart de mes prises ne trouveraient pas grâce aux yeux de la taupe. “Encore des vieilleries ! Des gadgets ! Tu veux nous tuer ? Les gadgets, Roussin, ça peut te pourrir la vie. Et sous terre, crois moi, quand on pourrit c’est pour l’éternité.” Certains jours, rien de ce que j’accomplissais ne lui convenait. “Tu ferais bien de creuser avec moi, plutôt que de monter un machin qui nous tombera dessus au premier souffle de vent.” Il aurait peut-être aimé que je me campe au bord de son trou, et que je pousse des hourras enthousiastes lorsqu’au soir, empestant comme Lucifer et plus noir qu’un bousier, il émergeait à l’air libre ! Je me débattais pour lui assener des arguments sans réplique : “Taupe naïve ! Tu n’y connais rien aux marais salants. Si tu pouvais imaginer comme c’est perfide ! Un étang qui se prendrait pour un raz-de-marée, c’est peut-être ridicule en soi, mais ça nous transformerait tous les deux en statues de sel.” Pour ajouter du poids à mes paroles, je poussais à mon tour la gnôle de son côté, lui adjugeant d’autorité une pleine louche de flageolets. Malgré cela je voyais bien qu’il n’en démordait pas. S’il vidait son assiette sans broncher, et l’arrosait poliment, une petite lueur dans son regard restait sur le qui-vive, et elle s’y entendait pour me faire douter de moi.

Le destin, ou son frère, donna bientôt raison à Costes. Alors que les débris du combat mythologique ne tombaient plus depuis longtemps, une cuisse de titan retardataire écrasa d’un seul coup les raffineries de La Mède. L’onde de choc fut sur nous dans le même instant. Adieu ma digue ! Adieu cuisine, gnôle et flageolets ! Ce qui semblait occuper une place immuable gisait en plusieurs morceaux sous des tonnes de caillasses et de saumure.
Les paupières collées, les narines bouchées par le sel, je survis au creux d’une poche providentielle. La vase s’est infiltrée sous mes vêtements mais le froid ne m’atteint plus. Je suis peut-être ankylosé, ou simplement mal réveillé. Costes, grand seigneur, ne m’accable pas de reproches. Je l’entends percer une nouvelle galerie dans ma direction. Lui, plus rien ne le dérange. Il avait rapatrié l’essentiel : plant de tomates, poule, et quelques ustensiles indispensables. L’éboulement a parachevé son oeuvre et ça l’arrange. Pour dire le vrai, il ne savait plus que faire de sa personne à l’air libre. Il est sympa, Costes. Il avait pensé à descendre une platée de flageolets, avec un fond de gnôle, pour notre premier repas sous terre. Tout en creusant, il m’exhorte à tenir. Il doit progresser vite parce que sa voix se rapproche d’heure en heure. Quand il ne m’encourage pas, il chante des gauloiseries et mon coeur se réchauffe à la perspective de passer le restant de mes jours auprès d’un tel compagnon. Finalement, avec de la tomate, de l’oeuf et du bitume, pour peu qu’on y mette du nôtre, on s’en paiera peut-être une bonne tranche pendant longtemps.

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Nouvelle publiée dans le magazine Saôn'art, en juin 2004

01:05 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (6)

03/10/2005

Salon de la Revue

Venez retrouver toute l'équipe de Salmigondis (et Dieu sait que nous sommes nombreux...) au Salon de la Revue, les 15-16 octobre, Espace des Blancs-Manteaux, 48, rue Vieille du Temple, 75004 PARIS.
Renseignements et liste des revues présentes : http://www.entrevues.org

 

20:40 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (6)

27/09/2005

Concours littéraire

SALMIGONDIS, revue littéraire et artistique, organise un concours littéraire. Deux catégories seront représentées : la nouvelle et le poème.
Il est possible de participer dans les deux catégories.
La date limite de participation est fixée au 30 novembre 2005.

Le thème est libre.

La longueur des nouvelles ne devra pas excéder 8 pages.
Celle des poèmes ne devra pas excéder 24 vers.

Chaque texte sera expédié en deux exemplaires. Ceux-ci ne porteront nulle mention révélant l'identité de leur auteur. L'envoi sera accompagné d'une enveloppe fermée contenant les coordonnées du participant (nom, prénom, adresse). L'identité des gagnants ne sera révélée qu'après les délibérations du jury.
NB : Il ne sera admis qu'une seule nouvelle et un seul poème par participant.

La participation est fixée à un montant de 10 euros , payables par chèque à l'ordre de SALMIGONDIS .

Les trois premiers textes de chaque catégorie seront publiés dans SALMIGONDIS. Leurs auteurs gagneront un abonnement d'un an à la revue, ainsi que la somme de 75 euros (1er), 60 euros (2ème), 45 euros (3ème).

Les envois seront expédiés à l'adresse suivante :
SALMIGONDIS , concours de nouvelles, 452 route d'Attignat, 01310 POLLIAT.

Chaque participant recevra le numéro contenant les textes primés.

11:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

21/09/2005

Achtung Zelig !

Gawronkiewicz / Rosenberg
BD
Casterman


«Ici, les auteurs n’ont pas hésité à mêler le fantastique, le drame, le grotesque pour parler de la Deuxième Guerre mondiale, du nazisme et de l’antisémitisme. C’est la réponse d’une génération nouvelle au politiquement correct, qui raconte, lui, continuellement les mêmes histoires. Et qui conduit l’artiste et chacun à mourir tout le temps, à chaque instant.»
Ainsi s’exprime Rosinski, fort justement, dans la postface qu’il consacre à cet album déroutant. En effet, ces deux auteurs sont parvenu à imprimer leur patte très particulière à un thème pourtant rebattu. L’horizon d’attente du lecteur s'y trouve sans cesse chamboulé, tant sur le plan narratif que graphique.
Nous sommes dans une forêt, aux abords d’un village juif, durant l’holocauste. Les Zelig, père et fils, qui vivaient à l’écart du village en raison de leur apparence, monstrueuse pour l’un, grotesque pour l’autre, ont pris la route. Ils croisent un convoi allemand qui déporte une étrange population : des chats… Le ton est donné : nous ne lirons pas une reconstitution historique destinée à commémorer les souffrances du peuple juif (ici, la communauté juive est présentée sous un angle peu glorieux puisqu’elle aussi rejette ceux qui sont différents), et nous emprunterons les chemins de la fantaisie. Alors qu’on attendrait un interrogatoire où la cruauté de l’officier SS n’aurait d’égale que la candeur de ses victimes, celui qui semble diriger le convoi n’est qu’un petit bonhomme affublé d’un chapeau et d’une cape d’alchimiste, une espèce de petit enchanteur Merlin au rabais, qui commande, mélancolique, une troupe de soldats allemands rigolards. L’interrogatoire se déroule autour d’une bonne bouteille, sur une table bien mise (en plein cœur d’une forêt alors que la guerre fait rage autour), et il prend l’allure d’une confidence fraternelle. Plus tard, lorsque le convoi aura maille à partir avec les patriotes résistants polonais, la scène du combat, ignorant tout souci de vraisemblance, sera relatée sous la forme d’un schéma publicitaire pour catalogue de vente par correspondance. Rosinski compare à juste titre ce type d’humour à celui de « La vie est belle », le film de Benigni. La comparaison s’impose, mais elle s’arrête là : tandis que Benigni se gaspillait en explications pédagogiques pour être assuré que son intention soit comprise, les auteurs du présent album font preuve d’une sobriété bienvenue.
La mise en page est très variée, qui alterne de larges plans assez impressionnants, et des scènes au cadrage très serré. Dans les réactions des personnages, tout manichéisme est soigneusement évité, on pense aux dessins animés de Myasaki, où les personnages paraissent tour à tour monstrueux et attachants.
Voilà décidément une BD de son époque. Et deux auteurs polonais que l’on aimerait suivre encore longtemps.

06/09/2005

Le roi cassé

medium_roicasse.jpgDumontheuil
BD
Ed. Casterman
96 p. / 15, 75 euros

Après le remarqué « Qui a tué l’idiot ?» et les deux tomes rafraichissants de « La femme floue », Nicolas Dumontheuil nous livre un grand récit initiatique ayant pour cadre la première guerre mondiale, et dont l’hypothèse absurde met en perspective cette idolâtrie ambigüe que les peuples vouent à leurs héros nationaux.
Simon Virjusse sera le dernier mort de la guerre. Il mourra le 11 novembre 1918, quelques minutes avant l’armistice. C’est la Mort elle-même qui nous l’apprend. Une Mort plutôt désabusée, contrariée par l’usage que l’on fait d’elle en temps de guerre :
« La Mort est quelque chose de sacré, Monsieur Virjusse ! C’est un passage ! Une transmission, un lien entre toutes choses… Ces hécatombes, ces charniers… Mépriser la vie, c’est mépriser la mort. » Aussi s’en va-t-elle trouver les décideurs neuf mois avant la fin du conflit. Puisque le dernier mort et la date ultime de la guerre sont connus, plus besoin de se battre ; il suffit d’attendre le 11 novembre sans coup férir, en choyant celui qui par son sacrifice permettra l’arrêt des hostilités. Simon Virjusse devient dès lors le héros idolâtré de tout un peuple, et c’est le processus de fabrication des héros que l’auteur passe au crible avec un humour dévastateur. On s’en aperçoit très vite, cette idolâtrie n’est pas dépourvue d’égoïsme. Ces tirades grandiloquentes que chaque protagoniste pousse comme pour lui même, et qui produisent un comique grinçant, ne sont-elles pas une manière désespérée d'adapter la réalité à sa convenance ? Une foule de personnages hauts en couleurs s’épanouit dans ce grand roman graphique, à la mise en page plus serrée, aux textes plus denses que dans « La femme floue ». Cette densité modifie ici le rythme de lecture, ce qui n’est pas pour déplaire, au contraire, puisque les dialogues restent somptueux et les dessins, rapidement brossés en apparence (personnages aux contours instables, ville aux formes amollies), épinglent en réalité avec beaucoup de précision des attitudes humaines bien observées. Chez Dumontheuil, comme chez plusieurs jeunes dessinateurs de sa génération, l’expressivité du trait prime sur la finition académique, et c’est un bonheur.
Si l’on peut éprouver des difficultés à entrer dans l’histoire (peut-être l’exposition de la situation est elle un peu longue et embrouillée), ce qui se déroule en parallèle sur la page maintient l’attention du lecteur (dialogues aux expressions très crédibles témoignant d'une fine observation de l'oralité, mimiques des personnages habilement fixées). Cet album confirme s’il en était encore besoin le talent et la personnalité de Dumontheuil.

21:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (15)